Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grande idée que tu aurais beaucoup de crédit. La duchesse d’Angoulême a parlé de toi à plusieurs personne. » Delphine se décida à revenir à Paris et elle reprit son titre de marquise qu’elle avait négligé, se contentant sous l’empire d’être la comtesse de Custine. Son fils l’avait déterminée à cette résolution. Certes, elle était royaliste ; mais il n’y avait dans ses opinions rien de violent ni d’agressif. Elle n’approuva pas l’entrée que fit, la torche à la main, Chateaubriand dans la politique.

Son pamphlet Bonaparte et les Bourbons, publié dans les premiers jours d’avril et qui eut tant de retentissement, répondait aux passions du moment sans aucun doute ; mais, par ses imprécations outrées et ses apologies sans mesure, il n’avait pas la complète adhésion de Mme de Custine. Elle restait par son éducation, par son bon sens, par son expérience, très bonne royaliste constitutionnelle, en-deçà des haines de l’émigration, et elle pensait que Chateaubriand, par ses intempérances, amoindrissait en lui la raison et la dignité du publiciste. Il avait, en effet, dans les premiers temps des deux restaurations, le tort de partager les colères de ceux dont il ne partageait pas les préjugés ; mais par ses défauts mêmes, sa brochure éloquente donnait une voix à des sentimens longtemps réduits à se taire. « En général, elle réussit, écrivait Mme de Rémusat à son fils encore au lycée, parce qu’elle apparaît comme un cri d’indignation[1]. » Elle apprenait à Paris et à la France qu’elle était la famille qui, après plus de vingt ans, allait rentrer aux Tuileries.

Un autre personnage, depuis quelques années hors de France, Fouché, revenait à Paris. Nommé gouverneur des provinces illyriennes, il n’avait pu prendre possession de son poste ; n’ayant pas obtenu l’autorisation de revenir à son château de Ferrière, il avait reçu l’ordre de se rendre en Italie auprès de Murat. Ses intrigues commençaient à produire leur effet sur l’esprit versatile du roi de Naples, lorsqu’il apprit la déchéance prononcée par le sénat ; il était accouru à tire-d’aile, et il ne tarda pas à faire parler de lui.

Le 14 avril, Talleyrand avait réuni au pavillon Marsan une sorte de conseil intime auquel assistaient les membres du gouvernement provisoire, de plus M. Lainé, M. de Vitrolles et quelques autres personnes. Après une longue discussion, M. de Vitrolles demandait formellement que le gouvernement provisoire allât déposer son autorité aux pieds du comte d’Artois, et le priât « de prendre les rênes de l’état en sa qualité de lieutenant-général du royaume. » Talleyrand ne disait rien, lorsqu’une des personnes présentes à l’entretien et qui, jusque-là, n’y avait pris aucune part, se leva avec vivacité, et, s’adressant à M. de Vitrolles, lui dit brusquement : « Ce

  1. Correspondance de Mme de Rémusat, t. I, lettre d’août 1814.