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Ce ne fut plus désormais à Fervaques que René alla passer ses automnes, Villeneuve-sur-Yonne fut aussi négligé ; mais Joubert était un philosophe à qui il semblait, en pensant à un ami, que le monde est plein d’aimans qui se tournent leurs pôles et d’antipathies qui se donnent la main. Mme de Custine ne prit pas aussi facilement son parti. Elle ne pouvait pas rivaliser avec la fastueuse existence de Mme de Duras, avec l’influence politique de son salon ; elle resta l’amie désintéressée, ayant le cœur blessé et ne se plaignant plus.

Cependant, les événemens qui se précipitaient allaient, dans la période de transition, amener Mme de Custine à jouer un rôle qu’elle ne recherchait pas, celui d’être la confidente du principal acteur de la seconde restauration.

Dès 1812, le mécontentement, les inquiétudes se manifestaient, surtout parmi les fonctionnaires de l’empire. Placés plus près du pouvoir, ils voyaient mieux que le vulgaire la folie des projets de Napoléon et l’impossibilité du succès. « Il paraît bien fort ! disait, en août 1812, le ministre Decrès à M. Pasquier ; eh bien ! il est perdu. » Les excès du despotisme dépassaient toute mesure. Le pouvoir judiciaire lui-même n’était plus respecté. Par une série de mesures audacieuses, l’empereur avait mis ce pouvoir sous sa dépendance absolue. Un sénatus-consulte venait d’annuler une déclaration du jury d’Anvers et de renvoyer devant une autre cour, jugeant sans jury, non-seulement les accusés, mais encore les jurés qui les avaient acquittés.

Le frère de Mme de Custine, Elzéar de Sabran, fut un exemple de ces violations du droit si fréquentes alors. On sait qu’il n’avait pas cessé d’être l’ami de Mme de Staël ; une lettre qu’il lui écrivait fut interceptée et tomba entre les mains de la police impériale. Enfermé à Vincennes, sans jugement, par les ordres de Savary, Elzéar en sortit au bout de quelques mois, grâce aux démarches du maréchal Oudinot, ami de sa sœur, et fut exilé à 50 lieues de Paris.

On se rend aisément compte de la violence des antipathies que le régime impérial accumulait dans le cœur de Mme de Custine. Aussi quand, en janvier 1814, les armées étrangères, surmontant l’effroi que leur inspiraient nos vieilles frontières, eurent débordé dans nos provinces de l’Est, quand le cercle formé autour de Napoléon se resserra de plus en plus, Mme de Custine fut une des femmes du faubourg Saint-Germain qui accueillirent avec le plus d’ardeur la pensée d’une restauration de la maison de Bourbon. Elle avait au premier moment fui les périls de l’invasion et s’était réfugiée à Berne (février 1814) ; Astolphe l’avait quittée pour rejoindre le comte d’Artois et s’efforcer d’être attaché à sa personne. Il écrivait à sa mère, le 25 mai : « Reviens ! On se fait de toi une si