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1807 et de 1808, où il était tout enfiévré par la création des Martyrs. Ce fut dans le petit enclos qu’il venait d’acheter, — La Vallée aux loups, — que Chateaubriand lut d’abord à la petite société son poème nouveau. Très docile à la critique de ses amis, il supprimait ou modifiait des pages entières, suivant leurs conseils. Il avait renouvelé sous les ombrages de Méréville, pour plaire à Mme de Laborde, ces lectures devant un cercle de femmes choisies, Mme de Pastoret, Mme de Lévis. La timidité de Mme de Custine l’eût écartée de ces réunions mondaines.

Chateaubriand, très gâté dans les cercles aristocratiques, voulut s’acquitter vis-à-vis de Mme de Laborde d’une dette d’amabilité.

Il faillit, qui ne le sait ? payer de sa liberté l’article publié, le 4 juillet, dans le Mercure, sur le voyage pittoresque de M. de Laborde en Espagne. Sa course récente en Grèce et en Orient avait éveillé en lui certains accens généreux. Il ne put, malgré l’avis de Joubert, les étouffer ; et quelques phrases comme celle-ci : « c’est en vain que Néron prospère. Tacite est déjà né dans l’empire, » irritèrent violemment Napoléon.

La lettre de Joubert, du 1er septembre 1807, rend un compte fidèle de cet incident :


« Le pauvre garçon a eu pour sa part d’assez grièves tribulations. L’article qui m’avait mis tant en colère est resté quelque temps suspendu sur sa tête, mais à la fin le tonnerre a grondé, le nuage a crevé et la foudre en propre personne a dit à Fontanes que si son ami recommençait, il serait frappé. Tout cela a été vif, même violent, mais court. Aujourd’hui tout est apaisé, mais on a grêlé sur le Mercure. »


Ce journal, dont Chateaubriand s’était rendu acquéreur, fut supprimé.

Nous n’aurions pas rappelé cet événement, si Mme de Custine, dont l’affection restait toujours vigilante, n’avait pas été aussi pour quelque chose dans cette modération relative. Elle alla voir Fouché, qui n’avait pas cessé d’être son ami personnel. Grâce à lui, grâce aussi à Fontanes, le coup que l’empereur voulait porter à Chateaubriand fut atténué.

Pendant tout le temps que le manuscrit des Martyrs passa aux mains de la censure, le dévoûment de Mme de Custine se fit toujours sentir ; mais ces corrections, ces suppressions, quoique faites à l’amiable, irritaient, non sans raison, Chateaubriand. Au mois de novembre 1808, il lui écrit :