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ainsi Colo ? Changez, croyez-moi, de manière d’être, si vous voulez lui ressembler en tout ; car, depuis que je suis ici, il est mieux. Je ne suis pas heureuse, mais je suis un peu moins malheureuse. Est-ce pour cela que vous ne me donnez pas signe de vie ? Je vous ai écrit une longue lettre qui est restée sans réponse ; comme je crains que celle-ci n’ait le même sort, je vais la faire très courte. Adieu, croyez à mon amitié, puisqu’elle résiste même à votre oubli. »

Dans cette plainte discrète et touchante : « Je ne suis pas heureuse, mais je suis un peu moins malheureuse, » que de révélations ! Pour que Chênedollé gardât un silence aussi obstiné, il fallait que sa douleur fût bien profonde ! Chateaubriand essaie aussi de la dissiper. Dans cet échange de paroles tristes, c’est Mme de Custine qui apporte dans sa mélancolie le plus de mesure et de résignation ; son caractère grandit en même temps que son cœur s’élève. Voici la lettre que René écrivait de son côté, le 12 janvier 1805, au cher Corbeau :


« J’ai votre portrait. Vous jugez s’il me fait plaisir. Les gens qu’on aime étant presque toujours éloignés de nous, au moins que leur image les fixe sous nos yeux, comme ils sont dans notre cœur… Je vous attends ; votre lit est prêt. Ma femme vous désire ; nous irons nous ébattre dans le bois, rêver au passé et gémir sur l’avenir. Si vous êtes triste, je vous préviens que je n’ai jamais été dans un moment plus noir. Nous serons comme deux cerbères aboyant contre le genre humain. Venez donc le plus tôt possible ! Mme de Custine doit vous avoir un passeport ; venez ! Le plaisir que j’aurai à vous embrasser me fera oublier toutes mes peines.

« Mille tendres amitiés,

« Rue de Miroménil, no 119. »


Chênedollé s’était relevé de son abattement, mais n’était pas venu à Paris. Il s’était décidé à confier sa peine à la femme aimable qui ne s’expliquait pas son mutisme. Elle reprend dès lors sa correspondance avec lui ; elle ne peut montrer qu’à lui le déchirement de son cœur. Elle aime plus que jamais ; et, plus que jamais, elle est délaissée.


« Ce 28 mars 1 ?05.

« Je suis vraiment bien touchée de vos chagrins. Je vous pardonne votre silence, je serai heureuse de vous revoir et de broyer du noir avec vous ; mais ce que j’ai peine à vous pardonner, c’est