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mise dans ma lettre ; c’eût été à vous de me convaincre de fausseté, l’almanach à la main. »

Il était déjà, on le voit, guéri de sa peine.

Il arrive à Rome le 25 juin 1803. Nous avons dit ailleurs[1] les tristesses et les soucis qu’il y éprouva, ses démêlés avec le cardinal Fesch, l’arrivée de Mme de Beaumont, la mort de cette amie incomparable, qui n’avait paru dans la vie que pour en souffrir tous les maux ; la conduite chevaleresque de Chateaubriand dans ces délicates circonstances, où l’homme d’honneur qu’il était finit par imposer à tous la considération et l’estime, enfin le retour affectueux du cardinal-ambassadeur, qui changea lui-même de manières à son égard.

Chateaubriand flottait entre mille partis à prendre, lorsqu’il reçut la nouvelle que le premier consul l’avait nommé ministre dans le Valais. Après un court séjour à Naples, il rentre à Paris précédé par cette belle lettre à Fontanes sur la campagne de Rome, oh. il égale, par l’éclat de son talent, la grandeur des ruines fameuses et la mélancolie des horizons de la Sabine. Il descend rue de Beaune, à l’hôtel de France, le 15 mars 1804. Il renouera pour quelque temps son roman avec Mme de Custine, mais le premier charme a disparu.


III.

Mme de Chateaubriand l’attendait à Paris ; leur séparation, qui durait depuis plus de dix années, avait pris fin. La perte de presque toute la fortune de sa femme, perte encore aggravée par la ruine d’un oncle débiteur envers elle, était venue ajouter chez Chateaubriand un motif généreux au sentiment du devoir. Ils se préparaient à partir ensemble pour Sion.

Une amitié très vive unissait alors René à Chênedollé ; ils s’étaient connus il y avait trois ans : ils arrivaient l’un de Londres, l’autre de Suisse. Tous deux avaient émigré, ils avaient même âge, mêmes goûts ; pendant plus de deux années, pas un jour ne s’était passé sans qu’ils se vissent. Ce fut, pour ainsi dire, la période du Chateaubriand bon enfant, la période où il s’appropriait le mot de Joubert au comte Molé : « La vie est un ouvrage à faire, où il faut, le moins qu’on peut, raturer les affections tendres. » Mme de Beaumont régnait alors, et sa faiblesse touchante faisait subir son influence discrète et douce.

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1883.