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avec Mme de Custine, pendant que Pauline de Beaumont, qui habite rue Neuve-du-Luxembourg, tout près de lui, attend sa visite. Qu’aurait-elle dit si elle eût connu la lettre suivante ?

« N° V. À Madame de Custine,

« Je ne vis plus que dans l’espérance de vous revoir. De grâce, un mot, un seul mot, pour m’aider à passer la journée ! j’ai erré hier le reste de l’après-midi dans toutes les rues de Paris sans savoir où, j’allais. Ah ! promettez-moi le château d’Henri IV ! Promettez-moi de venir à Rome !

« Il n’y a rien de déterminé pour le jour du départ.

« À demain ! »


« N° VI. — Encore un jour sans vous voir ! Vous allez le passer bien tranquillement. Vous allez peindre, caresser Trim et oublier qu’il y a dans le monde des personnes qui vous aiment. Comment êtes-vous, ce matin ? Ma cellule est bien triste : un vilain soleil sous le nuage, une bise froide, une chambre dépouillée de ses meubles et qui annonce déjà l’absence ! Il y a quelque temps, tout cela m’aurait été indifférent. Mais une sainte apparition qui m’a visité dans ma demeure[1] m’a rendu l’éloignement insupportable. Songez, je vous en prie, à ce château d’Henri IV, cela peut me consoler. Demain, je serai à onze heures chez vous. Il n’y a rien de nouveau pour le départ.

« Mille joies et plaisirs. »


Il n’était pas possible que l’heure de ce départ pour Rome ne sonnât pas. Les instans de bonheur étaient comptés, mais Chateaubriand ne songeait pas à donner sa démission : Rome l’attirait.


« N° VII. — Je me rendais chez vous. Je reçois l’ordre de passer chez M. de Talleyrand. Il faut obéir. Je serai chez vous, j’espère, à une heure, ou plutôt à deux. Vous ne sauriez croire combien je suis malheureux de ne pas vous voir ce matin !

« Mille souhaits de bonheur.

« A Madame de Custine, rue Martel première porte cochère à gauche en entrant par le bas de la rue. »


Chateaubriand, tiraillé par les sentimens les plus contradictoires, ne parlait pas à ses amis de cette affection qui brusquement avait

  1. Ces mots sont soulignés dans l’original.