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deux heures ? Je crains de vous importuner ; vous m’avez traité si mal que je suis tenté de vous appeler madame.


« Lundi matin.

« A Madame de Custine, rue Martel. »

« N° III. — Vous ne pouvez pas concevoir ce que je souffre depuis hier ; on voulait me faire partir aujourd’hui. J’ai obtenu par faveur spéciale qu’on m’accorderait au moins jusqu’à mercredi. Je suis, je vous assure, à moitié fou, et je crois que je finirai par donner ma démission. L’idée de vous quitter me tue. Je ne pourrai, pour comble de malheur, vous voir avant deux heures, cet après-midi.

« Au nom du ciel, ne partez pas ! Que je vous voie au moins encore une fois ! Êtes-vous malade ?


« Samedi matin.

« A Madame de Custine, rue Martel. »


Mme de Custine devait aller à Fervaques ; après avoir lu ce billet, elle ne partit pas. Elle alla trouver Chateaubriand dans la chambre d’hôtel qu’il occupait. Le lendemain, dès l’aube, il lui écrit ; il n’a pu dormir. Ce n’est pas encore le Chateaubriand guindé, celui de Mme Récamier, c’est René jeune et amoureux.

« N° IV. — Si vous saviez comme je suis heureux et malheureux depuis hier, vous auriez pitié de moi. Il est cinq heures du matin. Je suis seul dans ma cellule. Ma fenêtre est ouverte sur les jardins qui sont si frais, et je vois l’or d’un beau soleil levant qui s’annonce au-dessus du quartier que vous habitez. Je pense que je ne vous verrai pas aujourd’hui et je suis bien triste. Tout cela ressemble à un roman, mais les romans n’ont-ils pas leurs charmes ? Et toute la vie n’est-elle pas un roman et souvent un triste roman ? Écrivez-moi ; que je voie au moins quelque chose qui vienne de vous ! Adieu, adieu jusqu’à demain !

« Rien de nouveau sur le maudit voyage.


« Dimanche matin.

« A Madame de Custine, rue Martel. »


Son imagination l’emporte, et il rêve d’être aimé à Fervaques, loin de Paris, dans la chambre d’Henri IV. Il rêve même de Rome