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la reine des roses. Nous avons dit qu’on la rencontrait rarement dans le monde ; sa sauvagerie ne s’adoucissait qu’auprès de Mme de Staël.

Ce ne fut pourtant pas dans le salon de Corinne, mais chez Mme de Rosambo, une de ses compagnes des Carmes, et alliée au frère aîné de Chateaubriand, que Mme de Custine vit celui-ci pour la première fois. Le succès prodigieux du Génie du christianisme, qui venait de paraître, avait ouvert à son auteur toutes les portes ; comme il l’écrivait à Guéneau de Mussy, il jouissait de tout le succès littéraire qu’un homme peut atteindre dans sa vie ; il semble que son cœur eût dû être plein de l’image de celle qui s’était enfermée six mois avec lui à Savigny, et qui lui avait donné les preuves les plus touchantes d’une tendresse sans limite et sans condition. Ce serait bien peu le connaître. Dès qu’il était aimé, il craignait qu’on ne l’abandonnât et l’idée de l’inconstance humaine venait empoisonner sa joie.

Tandis que Mme de Beaumont se préparait, dans cette année fatale de 1803, à demander aux eaux du Mont-Dore quelques jours de santé, pour aller lui dire une dernière fois qu’il était ce qu’elle avait de plus cher au monde, il écrivait, lui, à Mme de Custine : « l’idée de vous quitter me tue. » Il avait, en effet, accepté la place de secrétaire d’ambassade à Rome, que l’abbé Émery avait eu mission de lui proposer au nom du premier consul. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, il dit qu’il aurait peut-être reculé si l’idée de Mme de Beaumont n’était venue mettre un terme à ses scrupules. « La fille de M. de Montmorin se mourait ; le climat de l’Italie lui serait, dit-on, favorable ; moi allant à Rome, elle se résoudrait à passer les Alpes ; je me sacrifiai à l’espoir de la sauver. »

Au contraire, dans une lettre datée de Rome, il écrit à Fontanes : « Voilà où m’ont conduit des chagrins domestiques. La crainte de me réunir à ma femme m’a jeté une seconde fois hors de ma patrie. Les plus courtes sottises sont les meilleures. Je compte sur votre amitié pour me tirer du bourbier. »

Il allait partir pour rejoindre son ambassadeur le cardinal Fesch, lorsque sa passion pour Delphine de Custine éclata. Très discret dans ses Mémoires ; il consacre à son souvenir à peine quelques lignes :

J’avais une foule de connaissances en dehors de ma société habituelle. J’étais appelé dans les châteaux qu’on rétablissait. Parmi les abeilles qui composaient leur ruche était la marquise de Custine, héritière des longs cheveux de Marguerite de Provence, femme de saint Louis, dont elle avait du sang. J’assistai à sa prise de possession de Fervaques, et j’eus l’honneur de coucher dans le lit du Béarnais. Ce n’était pas une petite affaire que ce