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plu si bien qu’elle lui avait emprunté son nom pour le donner à ce roman si plein d’elle-même, de ses idées comme de ses sentimens, vrai miroir de cette âme ardente, si noble jusque dans ses faiblesses et si supérieure à ceux qu’elle a aimés.

Mais, malgré le succès qu’elle rencontrait à chaque pas, malgré l’auréole que lui faisaient les vaillances de sa vie, Mme de Custine n’était plus une mondaine. Le monde, quand il ne l’intimidait pas, l’ennuyait ; EIzéar disait qu’elle avait plus peur d’un salon que de l’échafaud. Une précoce expérience lui avait donné cette philosophie que les livres n’apprennent pas. Comme elle avait pour la peinture un goût à qui ne manquaient que des études sérieuses et de bons maîtres, elle s’enfermait des heures entières dans son atelier. D’autre part, son amour pour son unique enfant l’empêchait de se remarier, et puis, suivant une belle parole d’elle : « Devenue veuve par le bourreau, » elle ne se sentait pas libre comme toute autre femme.

Tourmentée par le souci de ses affaires, en procès continuels pour reconquérir ce qui avait été soustrait à l’héritage de son mari, elle n’avait pas alors la sérénité d’esprit qui prépare le cœur aux longues tendresses. Le calme, dont elle avait le plus besoin, lui fit rechercher la campagne ; et, dès qu’elle put réunir des ressources suffisantes, elle acheta, le 27 octobre 1803, près de Lisieux, le château et le domaine de Fervaques, non loin du village qui l’avait abritée en 1791 et en 1792[1].

Il lui restait, au milieu de ses douleurs et de ses inquiétudes, une autre épreuve à subir, celle d’une grande passion vite méconnue et les tortures d’un cœur qui ne se donnait pas aisément.


II.

En 1803, Mme de Custine, à trente-trois ans, était dans tout l’éclat de sa beauté.

Son fils s’est plu à nous la montrer au lendemain de ses détresses et de ses infortunes, avec la finesse de ses traits, avec sa physionomie à la fois passionnée et mélancolique, résignée et mutine, avec ses manières élégantes et une douceur, une netteté dans l’accent qui étaient un charme de plus. Son teint de blonde était resté frais comme du temps où Boufflers l’appelait

  1. La terre de Fervaques appartenait au duc de Montmorency-Laval et à sa sœur la duchesse de Luynes, Mme de Custine l’acheta, en son nom et au nom de son fils, au prix de 418,761 livres et une rente de 8.691 livres.