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assommé sur place. Je sais bien que vous avez le bonheur de rendre heureux tous les jours qui ne le sont pas ; et que, si vous le vouliez, ce 18 fructidor que je redoute serait le plus heureux jour de ma vie ; mais comme je ne vous crois pas assez de bonté pour cela, permettez que je reste dans ma retraite, et que j’y emploie à penser à vous les momens que j’aurais pu consacrer à jouir de votre adorable présence.

« Je vous prie d’agréer les assurances de mon respect.

« Boissy. »


Certes, cette crainte des fâcheux anniversaires n’eût pas retenu chez lui le second personnage avec qui Mme de Custine entretenait, en 1814 et en 1815, un long commerce épistolaire. Fouché, en effet, commençait à oublier ce qu’il avait dit lors du procès du roi : « Je ne m’attendais pas à énoncer à cette tribune d’autre opinion sur le tyran que son arrêt de mort. Il semble que nous soyons effrayés du courage avec lequel nous avons aboli la royauté : nous chancelons devant l’ombre d’un roi. »

Les troubles civils, quand ils se prolongent, font vivre, à certains hommes politiques, plusieurs existences différentes. On eût déjà étonné Fouché si on lui eût raconté que la Convention l’avait envoyé avec Collot d’Herbois à Lyon pour mettre à exécution le décret de destruction prononcé contre cette malheureuse ville, et si on eût remis sous ses yeux sa lettre du 19 décembre 1793 : « Exerçons la justice à l’exemple de la nature ! Frappons comme la foudre, et que la cendre même de nos ennemis disparaisse du sol de la liberté ! » Lorsque les embarras suscités au Directoire par les jacobins firent sentir la nécessité d’opposer à leurs intrigues l’habileté d’un homme qui eût le secret de tous leurs moyens, Fouché fut choisi. Il avait accepté d’être ministre de la police générale le 20 juillet 1799, avec ce sentiment que, les variations de l’opinion publique étant plus brusques et plus fréquentes dans notre pays qu’ailleurs, il fallait le suivre dans ses métamorphoses successives pour le gouverner. Les contemporains assurent qu’en ces années de confusion il imprima à la police générale un caractère relatif de justice et de modération. « Aucune des mesures que la sûreté publique exige, disait-il, ne commande aujourd’hui l’inhumanité. »

Cependant Joséphine de Beauharnais, devenue la femme du général Bonaparte, ouvrait à son ancienne amie des Carmes la porte du Cabinet de Fouché. Le ministre de U police aida puissamment Mme de Custine à rentrer dans la portion de ses biens confisqués qui n’était pas vendue. Avec un peu de bien-être, elle reprit goût à la vie sociale et à la conversation. On sait ce qu’était le monde de