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civile, à qui le dernier mot appartient dans le travail régulateur de la cour suprême, arriva, par une analyse plus approfondie des mêmes textes (10 avril 1860), à les protéger contre la saisie dès qu’on pourrait leur reconnaître, en fait, un caractère alimentaire. Ainsi, dans la pratique actuelle, ce qui est alimentaire est insaisissable. Cette jurisprudence, unanimement acceptée, répond à tout, car elle permet en même temps au juge de pourvoir aux besoins urgens du débiteur et de déjouer les calculs de la mauvaise foi. Dans beaucoup de pays, on s’en contenterait, sans s’exposer à en compromettre les bons résultats par l’intervention du pouvoir législatif, que son désir de mieux faire peut entraîner à faire moins bien. Cependant, si le législateur a des loisirs, rien ne l’empêche de donner à la jurisprudence des cours et des tribunaux le sceau de son autorité toute-puissante.

Enfin quelques publicistes attirent l’attention du législateur sur la femme de l’ouvrier. Celle-ci se marie ordinairement sans faire régler par un contrat, quant aux biens, l’association conjugale, et, par conséquent, est placée sous le régime de la communauté légale. Le mari, chef de cette communauté, a le droit non-seulement de garder ses propres salaires, mais encore de se faire remettre ceux de sa femme. Celle-ci peut assurément, si le mari dépense à tort et à travers l’argent qu’elle gagne, demander la séparation de biens. Mais il suffit, d’après M. Glasson, de connaître cette procédure de la séparation avec ministère d’avoué, d’avocat, d’huissier, renvoi devant un notaire, etc., pour se convaincre qu’elle ne saurait profiter aux pauvres gens : le code civil n’a d’efficacité que si le ménage possède une certaine fortune, et la femme de l’ouvrier, privée de ressources par son mari, n’aurait plus aujourd’hui qu’à invoquer le secours de l’assistance publique. Il faudrait donc remédier à cet état de choses, et l’on se tourne alors, selon l’habitude des jurisconsultes contemporains, vers les législateurs des pays voisins pour leur demander un conseil. On pouvait encore, il y a quelques années, invoquer l’exemple de l’Angleterre. L’act du 9 août 1870 avait permis aux femmes mariées de conserver la propriété de divers biens meubles existant au jour du mariage ou même acquis plus tard, parmi lesquels les sommes d’argent provenant de leur travail personnel, et la femme de l’ouvrier semblait aux juristes français avoir conquis par là même toute l’indépendance dont elle avait besoin. Mais cette loi, paraît-il, ne répondit pas à l’attente des pouvoirs publics, car elle fut bientôt remplacée par une loi beaucoup plus radicale : l’act du 18 août 1882, qui autorise toute femme mariée à contracter et à disposer de ses biens comme si elle n’était pas mariée. Cette innovation hardie intimide généralement nos légistes, et c’est de préférence