Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est beaucoup que de laisser aux contractans toute la liberté de leur initiative, toute la précision de leurs mouvemens, toute la flexibilité de leurs volontés. Dans telle industrie où le patron se débat contre une crise économique ou lutte péniblement contre la concurrence, on aurait tort de lui imposer la charge exclusive de l’assurance; dans telle autre où il fait de grands bénéfices, on aurait tort de tout mettre à la charge de l’ouvrier. Cependant le législateur, avec les meilleures intentions du monde, est incapable de forger tout d’une pièce un système qui donne à tous les intérêts une satisfaction équitable, étant incapable d’adapter ses prévisions fixes à l’infinie variété des situations qu’engendrent les rapports du capital et du travail.

Par malheur, M. de Bismarck, même quand il ne fait que des lois sur les assurances, exerce sur beaucoup d’esprits une séduction irrésistible, et la plupart de nos hommes d’état ne demandent qu’à s’élancer sur ses traces. M. Peulevey, invoquant « les grands principes de la solidarité démocratique, » avait proposé de mettre à la charge de l’état « tous les accidens graves survenus dans l’exécution d’un travail commandé » : les ouvriers devaient verser annuellement une somme de 2 francs, et l’indemnité n’aurait pas dépassé 800 francs ; on aurait fondé une « caisse des accidens du travail » dont le service eût été fait gratuitement par la caisse des dépôts, tandis qu’une commission administrative spéciale était appelée à statuer sur les réclamations des victimes ou de leurs familles. Le projet déposé par M. F. Faure, en 1882, était moins radical, plus complet et mieux coordonné; il fondait, « sous la garantie de l’état, » une caisse d’assurances « ayant pour objet de garantir les chefs d’entreprises industrielles, agricoles et commerciales des conséquences pécuniaires de la responsabilité mise à leur charge, » moyennant le paiement des primes dont le taux « serait établi par un tableau classant les industries en cinq catégories, suivant le degré de danger que présente chacune d’elles. » Outre ces primes, les ressources de la caisse se composaient d’abord « du capital appartenant en commun à ladite caisse et à la caisse d’assurances en cas d’accidens, » fondée par la loi de juillet 1868, ensuite d’une subvention annuelle de l’état, s’il y avait lieu. Les ouvriers n’avaient aucune annuité à verser. Un tribunal arbitral devait fixer le montant des indemnités. Enfin parut, le 27 février 1885, un nouveau projet, — je parle de celui qui déplace la preuve des responsabilités au profit de certains ouvriers et dont j’ai commencé l’examen critique.

Tandis que la loi allemande de 1884 ne soumet, on l’a vu, les entrepreneurs industriels au fardeau de l’assurance obligatoire