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pouvait contracter une assurance en s’adressant aux receveurs-généraux ou particuliers, aux percepteurs des contributions directes, aux receveurs des postes ou à la caisse des dépôts et consignations : des comités, composés du préfet ou du sous-préfet et de quatre « délégués, » nommés par l’administration préfectorale, devaient donner leur avis sur les demandes d’indemnités, et le directeur-général de la caisse était chargé de statuer sur les avis des comités. La porte une fois ouverte, tout le monde, ou peu s’en faut, s’abstint d’y frapper, et cette maladroite tentative échoua de la façon la plus piteuse. Il faut, quand on traite du régime des assurances françaises contre les accidens, raisonner comme si la loi de 1868 était sortie d’une de ces « conférences » dans lesquelles les jeunes aspirans au baccalauréat politique se forment à l’art de remplacer les vieilles lois par des neuves.

Il y a donc, en France, une vingtaine de compagnies d’assurances contre les accidens, dont plusieurs sont fortement organisées. Nul ne doit, chacun peut s’adresser à l’une d’elles. Ce régime de liberté, qu’anathématisent aujourd’hui certains hommes d’état français, offre de grands avantages. D’abord chacun fait ce qu’il entend faire, et c’est quelque chose; car enfin, parmi les ouvriers que l’on contraint à l’assurance, il y en a qui ne courent aucun risque et qui ne se soucient pas, à bon droit, de sacrifier la moindre parcelle de leur salaire ; il y en a d’autres qui, déjà nantis d’un petit pécule, peuvent très légitimement, toute réflexion faite, tenir à rester, selon l’expression technique, « leurs propres assureurs. » Ensuite l’ouvrier qui consent à s’assurer reste libre, soit de proportionner la prime à ses ressources, soit de stipuler le genre d’indemnité qui lui convient. Célibataire ou veuf sans enfans, il a le droit de ne penser qu’à lui. aux risques de blessures ou de mutilation, et de diriger son effort vers la pension viagère : marié, il se préoccupera de sa veuve ; père de famille, de ses enfans. La caisse publique instituée en 1868 n’a qu’un seul tarif, qui ne peut tenter que les professions les plus dangereuses, et obère nécessairement le trésor. Où l’état confond, l’industrie privée discerne; elle sait graduer les risques et, par conséquent, les primes. Celles-ci, d’après les tableaux dressés par quelques compagnies, varient, calculées sur la journée de dix heures de travail effectif, de 0 fr. 02 à 0 fr. 18 par jour. M. de Courcy nous signale comme une prime courante celle de 0 fr. 06, qui, sur trois cents journées, produit 18 francs. Pour ces 18 francs, l’assureur promet, en cas d’accident mortel, une somme de 1,000 francs à la veuve; en cas d’accident entraînant une incapacité de travail, une pension viagère de 300 francs à la victime, et d’autres pensions proportionnées à la gravité de l’accident.