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plus exposés, reçoivent d’autres salaires que les ouvriers de l’agriculture. M. de Courcy raconte, avec beaucoup de verve, l’histoire d’un grimpeur agile, qu’il a chargé d’élaguer ses grands arbres, et qui s’exposant à se rompre le cou, lui a demandé 15 francs par jour : « Cet homme, dit-il, avait un autre métier qui lui rapportait des journées de 4 francs, quand il ne chômait pas ; je lui payais le risque plus de 10 francs par jour. » Mais, si le risque est déjà payé, « l’employeur » ne peut pas, au moins de plein droit, en rester garant! A-t-on songé, d’ailleurs, que cette prétendue promesse de sécurité ne peut pas être unilatérale, c’est-à-dire que l’ouvrier la fait au patron, si le patron la fait à l’ouvrier? Comment celui-ci, bailleur de ses services, ne serait-il pas tenu de faire jouir paisiblement le preneur, pendant toute la durée du bail, selon les principes généraux du droit? C’est donc, à son tour, un redevable, astreint à une garantie de sécurité, par conséquent présumé responsable si le patron est blessé dans l’inspection des ateliers ou même si les chaudières éclatent, si quelque incendie se déclare dans l’usine, etc. Peut-être n’a-t-on pas assez réfléchi à cette réciprocité de la responsabilité contractuelle et de ses suites. Non-seulement l’analyse sincère et sérieuse de l’intention commune condamne la théorie de M. Sainctelette ; mais il suffit, pour détruire tout son raisonnement, de le pousser à ses conséquences logiques.

Quelques jurisconsultes, et non des moins considérables, contestent, il est vrai, cette réciprocité de garanties en rattachant plus étroitement l’un à l’autre, par un abus de mots, le louage de services et le louage de choses. Le locataire d’une chose livrée en bon état, disent-ils, est présumé, s’il la rend en mauvais état, l’avoir détériorée. Eh bien! le locataire du service, c’est-à-dire le patron, est mis, par son contrat même, en contact direct avec une personne et serait forcé, par une extension de la même idée, de rendre la personne en bon état. Quelle confusion! Dans le premier cas, c’est la-chose, immobilière ou mobilière, qui fait l’objet du louage ; dans le second, la personne loue son travail, son savoir-faire, et ne se loue pas elle-même. La personne n’est pas un outil sur lequel on exerce une mainmise ; on ne peut pas faire abstraction de son initiative et de sa liberté. La chose louée est inerte ; elle n’agit ni ne se défend, et, par conséquent, n’est pas la cause directe de sa propre destruction : le prestataire agit, se défend, désobéit, résiste, est capable d’éviter ou de provoquer l’accident auquel son métier l’expose, et, par conséquent, d’en être l’auteur. C’est pourquoi l’assimilation est fausse.

« Mais tout au moins, dit M. Labbé, lorsque l’ouvrier aura établi une corrélation entre la blessure éprouvée et un instrument, un appareil