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lui prendre son cheval de force; il pleurait comme un imbécile. Ce fut une bien autre histoire pour lui faire couper la tête. Je tenais beaucoup à ce que l’opération fût exécutée par les spahis nouvellement organisés, afin de les compromettre complètement vis-à-vis des autres Arabes du pays. Je ne pus trouver personne parmi les indigènes; enfin, je vis venir à moi un jeune Turc qui sert dans les spahis et qui par le français. Ce jeune garçon, de seize à dix-sept ans, qui est depuis longtemps avec nous, professe pour les Arabes la haine qu’avaient ses pères, anciens dominateurs du pays, et il a tranché la question à merveille.

« La décapitation de ce Si-Zerdoud, qui, chez les Arabes, passait pour faire des miracles, les a tous jetés dans la consternation. Le petit Turc qui lui a coupé la tête est menacé par ses camarades d’être tué. On ne se fait pas d’idée de l’effet que produit sur les Arabes une décollation de la main des chrétiens; ils se figurent qu’un Arabe, un musulman, décapité par les chrétiens, ne peut aller au ciel ; aussi une tête coupée produit-elle une terreur plus forte que la mort de cinquante individus. » Le Kabyle qui avait vendu son maître reçut 6,000 francs pour prix de sa trahison.

La mort de Si-Zerdoud fit tomber l’agitation qu’il entretenait depuis deux ans dans le vaste triangle de montagnes compris entre Philippeville, Bône et Constantine. Restait la région insoumise à l’ouest de Philippeville jusqu’à Collo. Le général Baraguey d’Hilliers la fit attaquer, au mois d’avril, par trois colonnes. Celle de Constantine, qu’il commandait en personne, eut, le 9, une rude rencontre avec les Beni-Toufout, au défilé de Djebeïl. Collo fut occupé le lendemain. Du 15 au 19, il y eut toute une série d’engagemens plus ou moins vifs avec les mêmes Beni-Toufout, renforcés par les tribus environnantes. On brûla les maisons, on coupa les arbres fruitiers, on enleva les troupeaux ; rien n’y fit d’abord : les hostilités, interrompues par des pluies torrentielles, durent être reprises. Ce fut seulement le 10 mai que les Beni-Sala et quelques fractions des Beni-Toufout firent un semblant de soumission qu’on s’empressa d’accueillir.

Au mois de juin, comme la grande tribu des Harakta, au sud de Constantine, refusait obstinément l’impôt, le général Baraguey d’Hilliers fit une grande razzia sur son territoire, tandis qu’une visite de même sorte était faite chez les Hanencha par le colonel Herbillon et le colonel Senilhes.

Toujours satisfait de lui-même, Baraguey d’Hilliers écrivit alors au gouverneur que la division à ses ordres avait soumis toutes les montagnes, de Collo à la frontière de Tunis, forcé l’Edough à accepter la domination française, et conquis à la France le quart de