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les spahis, lancés sur une autre piste, se trouvèrent séparés des zouaves, qui continuèrent à marcher seuls. Tout à coup, ceux-ci tombèrent au milieu d’une grande population qui se tenait prête à fuir. Surpris d’abord, les Arabes furent bientôt rassurés en voyant le petit nombre des survenans. La disproportion était énorme ; 200 contre 1,200. Entourés, perdus dans cette foule, les zouaves réussirent d’abord à se faire jour et à gagner la crête d’une roche dont l’accès était difficile. L’ennemi, qu’il fallait tenir à distance de baïonnette, suivait en hurlant. Arrivé sur la position, le commandant Frémy fit coucher ses hommes, et, pour ménageries cartouches, leur recommanda de ne tirer qu’à coup sûr. Des heures se passèrent ainsi. Étonné de ne voir pas revenir le détachement, le général Randon allait sortir à sa recherche, un peu à l’aventure, quand un spahi, que la maraude avait conduit vers le lieu du combat, accourut à toute bride et lui fit connaître la direction qu’il fallait prendre. Immédiatement il partit au galop avec la cavalerie ; l’infanterie suivait au pas de course. Il y avait 3 lieues à faire; elles parurent bien longues à l’impatience des sauveteurs ; enfin ils arrivèrent. A leur vue, les Arabes se dispersèrent et les zouaves descendirent du rocher, aux acclamations des camarades. Un tiers de l’effectif était blessé ou mort. La colonne rentra, le 14 juin, à Bône.

La troisième opération du mois de mai fut dirigée par le général de Négrier en personne. Il s’agissait de pousser au sud-est, jusqu’au voisinage de la Tunisie, dans le pays des Nemencha, une forte reconnaissance, et de rétablir, à la sollicitation même des grands de la tribu, l’ordre gravement compromis dans ce coin de la province. Parti, le 27 mai, d’Aïn-Babouch avec 3,000 hommes, le général arriva, le 31 au soir, sous les murs de Tebessa. Le kaïd, le cadi, les ulémas, une députation des Coulouglis qui formaient en majorité la population de la ville, étaient venus au-devant de la colonne, et bientôt les couleurs françaises flottèrent au-dessus de l’antique Theveste, une des plus intéressantes parmi les colonies que Rome avait semées en Afrique.

« Les principaux, écrivait le général de Négrier dans son rapport, vinrent me recevoir, et, après m’avoir salué de leurs drapeaux, me présentèrent les clés de leur ville ; je les pris au nom du roi. Un vieux marabout, nommé Si-Abd-er-Rahmane, qui la veille était venu à ma rencontre et dont je voulus visiter la zaouïa, ayant reçu de mes mains le burnous vert, me pria d’accepter sa bénédiction. Ayant levé les yeux au ciel, il appela à haute voix sur le sultan des Français et son khalifa la protection de Dieu et du Prophète. Les nombreux musulmans qui assistaient à cette scène touchante unirent leurs prières à celle du vieillard. L’iman et les desservans de la