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éclectisme, mais Pope, à l’instar de ces voyageurs qui ont gardé à leur insu quelque chose des mœurs des nations qu’ils ont traversées, a retenu quelque chose de la beauté, ou de la grandeur, ou de la vérité des doctrines avec lesquelles il a entretenu commerce plus ou moins intime, ou dont il a eu la curiosité de s’approcher. Voyez plutôt à combien de systèmes nous nous heurtons. Son catholicisme de naissance, — les doctrines catholiques ont gardé sur l’esprit de Pope une influence beaucoup plus grande qu’on ne ledit, — ne se reconnaît-il pas à ce point de départ de son poème, l’aveu de l’infirmité de la raison humaine, et à la conséquence qu’il en tire immédiatement, le devoir pour l’homme de se soumettre sans prétendre à trouver le mot des mystères dont il est environné et se révolter contre des lois dont le but lui est inconnu? Cependant, cette conséquence, très nettement chrétienne, est amenée par un raisonnement qui l’est beaucoup moins et qui fait penser à la théorie que Kant développera à la fin du siècle, c’est qu’en définitive notre raison n’atteint des choses que ce qui est nécessaire à notre existence. La doctrine métaphysique générale du poème est l’optimisme leibnizien, fondé sur une harmonie préétablie dans l’univers par une sagesse qui ne veut ni ne peut nous tromper; cependant l’image de cet équilibre divinement ordonné ne reste pas toujours si invariablement présente dans son esprit que l’idée d’identité de substance et de cause n’y fasse aussi parfois son apparition pour absorber cette symétrie dans le grand tout spinosiste. En morale, Pope est croyant au libre arbitre; il ne l’est pas si fermement toutefois qu’il ne croie encore bien davantage au fatalisme des instincts. Par sa théorie de la passion maîtresse qu’il expose si fréquemment, et toujours avec une si ingénieuse éloquence, il se rapproche étonnamment de nos plus récentes doctrines psychologiques, qui sont fort ingrates si elles ne reconnaissent pas en lui un précurseur. La morale pratique qui découle, soit de cette croyance quelque peu chancelante au libre arbitre, soit de cet entraînement vers le fatalisme des instincts, est une morale singulièrement anglaise, mais fort inconnue encore de son temps, tantôt la morale de l’intérêt personnel telle que Bentham l’a tirée de l’idée de l’utile, tantôt la morale de l’altruisme fondée sur l’égoïsme même, telle que les plus récentes évolutions des écoles positiviste et spensérienne l’ont établie. Ce n’est donc pas par la disette d’idées que pèche l’Essai sur l’homme. Je veux bien que cette abondance ne témoigne pas que Pope fût un philosophe, mais elle témoigne au moins de l’habitude qu’il avait de la méditation, et dit sur combien de problèmes, tant de métaphysique que de morale, son esprit s’était arrêté.

De même que la Boucle de cheveux enlevée fut par avance l’expression