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qui ne savent pas céder! Ainsi passe sans emporter un regret l’orgueilleux, admiration des sots, splendeur d’un jour! Et qu’ils périssent tous de même, ceux dont les cœurs n’apprirent jamais à brûler pour le bonheur d’autrui, à se fondre devant le malheur d’autrui!

O ombre pour toujours outragée, qu’est-ce qui peut être une expiation pour ta destinée qui ne rencontra pas pitié et pour tes droits qui te furent refusés? Pas une plainte d’ami, pas une tendre larme intime, ne charmèrent ton pâle fantôme ou n’honorèrent ta lugubre bière! Par des mains étrangères, tes yeux mourans furent fermés; par des mains étrangères tes membres décens furent arrangés, par des mains étrangères, ton humble fosse fut ornée. C’est par des étrangers que tu fus honorée, par des étrangers que tu fus pleurée. Mais qu’importe l’absence de parens en vêtemens noirs qui se seraient affligés pendant une heure peut-être, puis auraient pris le deuil pour un an et auraient porté la moquerie de leurs douleurs aux bals nocturnes et aux spectacles publics? Qu’importe que des Amours en larmes ne décorent pas tes cendres et que le marbre poli n’ait pas essayé la copie de ton visage ? Qu’importe que tu n’aies pas trouvé place en terre bénite, et qu’aucun chant consacré n’ait été murmuré sur ta tombe? Les fleurs n’en pousseront pas moins sur ta fosse et le vert gazon n’en pèsera pas moins légèrement sur ton sein: le matin y répandra ses premières larmes, l’année y fera fleurir ses premières roses, et des anges étendront le voile de leurs ailes d’argent sur la terre devenue sacrée par tes restes.

Que repose donc en paix sans une pierre, sans un nom, ce qui eut autrefois beauté, titres, richesses, célébrité! Combien tu fus aimée, combien honorée, à qui tu fus alliée, par qui tu fus engendrée, tout cela ne te sert de rien; un monceau de poussière est tout ce qui reste de toi, c’est tout ce que tu es, et tout ce que seront les orgueilleux.

Les poètes eux-mêmes passeront comme ceux qu’ils ont chantés; sourde est l’oreille à laquelle s’adresse la louange, muette deviendra la langue qui la donne. Oui, celui-là même dont l’âme, à cette heure, se fond en vers plaintifs, aura bientôt besoin pour lui-même de la larme généreuse qu’il donne; alors ta forme se séparera de ses yeux mourans, et la dernière angoisse t’arrachera de son cœur, la futile bagatelle de la vie aura été engloutie en un clin d’œil, la Muse tombera en oubli, et tu ne seras pas aimée plus longtemps.


Si l’on songe à la date de cette pièce, aux idées traditionnelles encore régnantes dans toute leur force à l’époque de Pope, à l’opprobre cruel dont l’opinion flétrissait la mémoire du suicide, à la sévérité des doctrines chrétiennes pour cet acte de désespoir, la hardiesse en paraîtra étonnante. Que le cœur de Pope sentait avec