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La pièce est courte, mais tellement significative qu’elle rend tout commentaire superflu. Qu’est-ce que les commentaires, en effet, pourraient ajouter de clarté à l’expression si nette des sentimens qu’elle contient?


Quel est ce fantôme qui me fait signe et invite mes pas à se diriger sous la lumière ombreuse de la lune vers cette clairière, là-bas, qu’il me montre? C’est elle! Mais pourquoi cette poitrine souillée du sang qui s’en échappe? pourquoi cette vision d’épée au pâte éclat? O toi, toujours belle, toujours amicale, dis-moi, dans le ciel, est-ce un crime d’aimer trop bien, de porter en soi un cœur trop tendre ou trop ferme, d’accomplir l’acte d’un Romain ou d’un amant? N’y a-t-il pas là-haut d’éclatantes compensations pour ceux qui pensent avec grandeur ou meurent avec bravoure?

Si cela n’était pas, ô puissances divines, pourquoi auriez-vous ordonné à son âme d’aspirer plus haut que là où peut atteindre le vol vulgaire des bas désirs? L’ambition est née à l’origine dans vos sphères heureuses, l’ambition, cette faute glorieuse des anges et des dieux; de là elle est ensuite descendue chez leurs images terrestres, et elle brille dans les cœurs des rois et des héros! c’est à peine, il est vrai, si la plupart des âmes, maussades et lourdes prisonnières dans la cage du corps, regardent une fois par hasard hors de leur geôle ; obscures lumières de vie, elles brûlent toute leur existence, invisibles, inutiles, comme des lampes dans les sépulcres ; pareilles aux rois d’Orient, elles gardent un état de torpeur et dorment étroitement fermées dans leur propre palais.

C’est de telles âmes peut-être que la destinée, devançant l’heure de la nature, l’arracha prématurément pour la transporter au ciel compatissant. Comme dans l’air flottent les esprits d’ordre plus pur, séparés de la lie de leur parenté d’en bas, ainsi son âme s’envola vers sa place naturelle, sans laisser derrière elle une vertu pour racheter sa race.

Mais toi, faux gardien d’un dépôt trop noble, toi vil déserteur du sang de ton frère, regarde palpiter sur ces lèvres de rubis le souffle qui s’en échappe, vois ces joues se faner sous le souffle de la mort : froid est ce sein qui échauffait naguère tout autour d’elle, et ces yeux qui dardaient l’amour sont pour toujours inanimés. Ah! si l’éternelle justice gouverne la sphère, c’est ainsi que périront vos femmes, ainsi que périront vos enfans ; une vengeance imprévue guette toute votre lignée, et de fréquens chars funèbres assiégeront vos portes. Les passans s’arrêteront et diront en vous montrant du doigt, pendant que la procession funèbre noircira tout le chemin : Voyez, ce sont ces gens dont les furies ont fait les âmes de fer, et qu’elles ont maudits de cœurs