sylphe protecteur a vu votre pensée coupable et s’est enfui en vous abandonnant à ses conséquences, qui n’ont pas tarde à se produire. Une fois, deux fois, vous avez donné à votre tête une inclinaison enchanteresse; oseriez-vous dire que c’était en toute innocence? Le forfait prévu accompli, vous avez poussé un cri, était-il bien de surprise, et l’évanouissement qui a suivi n’était-il pas quelque peu rusé? Faites l’examen de votre conscience, Belinda; voyez combien vous avez péché par pensée sinon par paroles, par curiosité sinon par volonté, par omission sinon par actions, et, cela fait, pardonnez généreusement à l’audacieux. Laissez-le en possession paisible de ce larcin que vous vouliez si peu lui refuser et, en récompense de cette noble action, je vous promets d’assurer à cette boucle les plus glorieuses destinées. Comme la chevelure de Bérénice, elle passera au rang des astres, et conservera le nom de Belinda aussi longtemps qu’il y aura dans le monde des cœurs sensibles à la grâce et des oreilles ouvertes à l’harmonie. »
S’il est vrai que cette fine et enjouée psychologie soit l’âme secrète du poème, on voit à quel point la substitution du surnaturel des sylphes au surnaturel des amours mythologiques a été un coup de génie, combien elle a été motivée par des raisons plus profondes que ne le dit Johnson, qui l’admirait cependant, et combien Addison, lorsqu’il déconseilla à Pope l’emploi de ce surnaturel, était mal inspiré et avait peu pénétré la délicate structure de cet élégant édifice poétique.
Nous avons dit que Pope était quelque peu peintre, ayant pratiqué cet art sous la direction de son ami Jervas. Je ne sais quelle est la valeur des peintures qui restent de lui ; ce qu’il y a de certain, c’est que, dans ce poème, il a montré les qualités du peintre au premier chef, et, parmi ces qualités, celles qui sont particulièrement propres aux artistes de son pays, la finesse des tons, la science des secrets les plus rares de la lumière, la transparence embrumée des ombres. Combinez ce que les teintes de l’aquarelle ont de plus tendre et le pastel de plus souriant à l’œil, et vous obtiendrez à peine la couleur exquise de ce poème, où il n’y a pas une sécheresse de ligne, pas une dureté de pinceau, pas une note violente, où tout est noyé, estompé, vaporeux, flou, comme disent les artistes. Mais il y a, sous ce rapport de la peinture, dans la Boucle de cheveux enlevée, quelque chose de beaucoup plus singulier, quel- que chose qui semble presque une révélation des sylphes du poème, et ferait croire que, de même que certaines idées, certaines formes de l’art sont suspendues dans l’air à telles ou telles époques, attendant qui les apercevra le premier. La Boucle de cheveux enlevée, c’est véritablement la révélation par la poésie de l’art qui fut