Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou de l’inspection de l’enregistrement qu’ils tentent de désorganiser. Un autre jour, c’est l’existence même de la Banque de France qu’ils mettent en doute, au risque d’affaiblir d’avance le pus puissant instrument de crédit de la nation pour les jours de grande crise où il pourrait être le plus nécessaire. De proche en proche, par une série d’empiètemens et d’usurpations, ils étendent ainsi la main sur tout, sur les finances, sur l’administration, sur l’armée, sur les services publics, sans s’inquiéter de la constitution ni même de la raison. Si le sénat prétend exercer, lui aussi, ses droits, et a l’air de résister, c’est le sénat qui est un provocateur de conflits ! Quant au pouvoir exécutif, il est entendu qu’il n’est rien, qu’il n’a reçu des prérogatives que pour ne pas s’en, servir! Qu’en résulte-t-il? C’est que toutes les conditions de vie publique sont confondues, que l’esprit de parti est la seule loi, et qu’il n’y a plus de gouvernement possible. Les ministères, par complicité ou par crainte, ont beau essayer de flatter des majorités mobiles dans leur omnipotence et s’épuiser en concessions, ils n’ont plus les moyens de vivre; ils tombent l’un après l’autre et passent comme des ombres. Le ministère qui existe encore aujourd’hui est probablement destiné à passer avant peu comme les autres, parce qu’avec ses propres faiblesses il a les faiblesses de la situation, et ceux à qui on promet déjà sa succession n’échapperont pas au même destin, parce qu’ils feront les mêmes choses dans les mêmes conditions. C’est là l’inexorable vérité !

Le mal est dans la situation, sans doute; il est dans cet avilissement ou cette altération systématique des institutions qui a livré la France à la capricieuse et stérile omnipotence d’un parti dont la capacité n’a pas égalé les prétentions. Il est aussi, on n’en disconviendra pas, dans les hommes qui, en se transmettant successivement le pouvoir, n’ont rien fait pour le relever, qui ont plus d’une fois senti le danger de la politique dont ils se faisaient les instrumens, et n’ont pensé tout bonnement qu’à se créer une sécurité éphémère en se prêtant à tout. Ils n’ont réussi à rien, pas même à vivre; ils n’ont eu d’autre chance que d’être les prête-noms successifs d’une politique de violence, de cette désorganisation croissante devant laquelle les républicains s’arrêtent aujourd’hui, impuissans et troublés. La ministère qui s’est formé avec la présidence nouvelle, sous le nom modeste de M. Tirard, ne pouvait, sans doute, avoir de hautes ambitions et se promettre de grandes destinées. Il aurait pu du moins, dès le premier jour, se donner une bonne apparence par un acte de politique simple et droite qui aurait fait pour ainsi dire son originalité, qui aurait mis l’opinion en belle humeur de confiance. Il n’avait qu’à le vouloir; il n’avait qu’à profiter de l’impression encore toute chaude des circonstances qui venaient de se produire pour trancher une question embarrassante, pour installer sans bruit, sans provocation et sans faiblesse,