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LES
MEMOIRES DE GARIBALDI

Don Quichotte eut un soir un entretien mémorable avec l’étudiant-poète don Lorenzo, fils de don Diego. Après avoir discouru aussi sensément que doctement sur la poésie et les lettres, il déclara à ce jeune homme que, si solide que soit la gloire des écrivains, il est une autre gloire qui en efface l’éclat, que la chevalerie errante est un art supérieur à tous les arts, une science qui surpasse et résume toutes les sciences, que le vrai chevalier non-seulement sait monter à poil le cheval le plus fougueux et s’en faire obéir, qu’en un besoin il s’entend à le ferrer de ses mains, à raccommoder une selle et une bride, à nager comme un poisson, à danser avec grâce, à tirer des armes; qu’au surplus il possède toutes les vertus théologales et cardinales, qu’il doit être jurisconsulte et connaître les lois de la justice distributive et commutative pour rendre à chacun ce qui lui appartient, qu’il doit être un profond théologien, afin de pouvoir en toute circonstance donner les raisons de sa foi, et un médecin très expert, capable de découvrir dans les montagnes et dans les déserts les plantes qui guérissent les plaies mortelles, qu’il est tenu d’être fidèle à Dieu et à sa dame, chaste dans ses pensées, discret dans ses discours, généreux, vaillant, charitable envers les malheureux, et finalement le constant et ferme champion de la vérité en tout temps et en tout lieu, au péril même de sa vie.

« J’ai de la peine à croire, lui répliqua don Lorenzo, qu’il y ait jamais eu et surtout qu’il y ait aujourd’hui dans le monde des chevaliers si accomplis. — Voilà justement, repartit don Quichotte, comment