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reçut la bénédiction suprême d’Alexandre VI et quitta Rome pour n’y rentrer jamais.

César avait accompagné, comme condottiere de Louis XII et gonfalonier de l’église, l’armée française dans sa campagne de 1501 contre Frédéric d’Aragon. Il prit lui-même Capoue d’une façon digne de lui, par trahison. Un certain Fabrizio lui livra l’entrée de la ville. « Il fut le premier tué par les gens du duc, écrit Burchard, et après lui environ 3,000 fantassins et 200 cavaliers furent massacrés, et, après ceux-ci, les bourgeois, les prêtres, les religieux des deux sexes, même dans les églises et les monastères ; les femmes et les jeunes filles furent, sans aucune pitié, la proie du vainqueur. » Selon Guichardin, le Valentinois choisit, pour sa part de butin, quarante des plus belles jeunes filles de Capoue. Les malheureuses se jetaient par désespoir ou par honte dans le Volturne. Mais ces gages de bonne amitié ne suffisaient point pour assurer le roi de France de la fidélité des Borgia. L’avidité et la fourberie du pape et de son fils devenaient chaque jour plus inquiétantes pour leurs alliés. En septembre 1501, Alexandre confisquait les derniers fiefs des Colonna, des Savelli, des Gaëtani, attribuait à Rodrigo, fils de Lucrèce et de don Alphonse. Sermoneta, Ninfa, Norma, Albano, Nettuno, Ardea ; à Giovanni Borgia, l’infant romain, son propre fils ou celui de César, il donnait Nepi, Palestrina, Pagliano, l’abbaye de Subiaco et ses dix-huit châteaux. En juin 1502, César et le pape sollicitaient le duc d’Urbin et le seigneur de Camerino de leur prêter des troupes pour les garnisons des Romagnes; les deux tyrans une fois désarmés, particulièrement de leur artillerie. César envahissait leurs états, les chassait, et pillait tout, jusqu’à la bibliothèque des Montefeltri. Guidobaldo d’Urbin s’enfuit à Mantoue par des sentiers de montagnes. Jules-César Varano, seigneur de Camerino, fut découvert au fond d’une citerne et étranglé. Le même sort attendait ses enfans, Annibale et Venanzio, qui périrent à la Cattolica, par les mains d’un neveu de don Micheletto. Les Borgia supprimaient, contre les vaincus, le droit des gens, et ils s’étonnaient naïvement qu’on leur répondît par de désagréables représailles. Louis XII garda quelques jours comme otage, au château de Milan, son cousin César de France. « Le pape, dit Giustinian, jure et anathématise le duc qui est allé à Milan à son insu. » Il ne comprenait pas qu’on eût à son égard une conduite équivoque, lui qui, dans ses confidences bavardes aux ambassadeurs, étalait à tout propos sa théorie cynique de la trahison. « Jusqu’à présent, nous avons été Français, et nous continuerons à l’être, si la France envoie assez de troupes pour vaincre les Espagnols; mais si elle balance et veut que nous nous battions pour elle, nous aviserons à ne point perdre ce que nous