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d’Urbin, les Baglioni de Pérouse, les Petrucci de Sienne, de menacer les Bentivogli de Bologne, d’inquiéter Florence par la prise de Piombino et les menées de son condottiere Vitellozzo, qui souleva les villes méridionales de la république florentine, Arezzo, Borgo San-Sepolcro et Cortona; enfin, d’allumer la révolution à Pise, qui, pour échapper aux griffes de Florence, eût levé l’étendard de l’Antéchrist. Ces excès d’ambition parurent à l’Italie une menace d’autant plus grave qu’ils coïncidèrent presque tous avec la faute capitale d’Alexandre VI, la proscription de la dynastie d’Aragon en 1501, le partage des Deux-Siciles entre Louis XII et Ferdinand le Catholique. Le pape crut faire merveille en attirant sur une proie commune la France et l’Espagne; il ne s’aperçut pas qu’il consommait ainsi la ruine de l’Italie, qu’il se plaçait lui-même entre l’enclume et le marteau, soumettait toute sa politique à la fortune des envahisseurs, réduisait son fils à la condition de vassal suspect aux deux puissances, ses convoitises étant un danger pour l’une et l’autre. Les hommes d’état voyaient alors à quel point étaient redoutables les projets de César et de son père, mais ils comprenaient aussi que le remède était près du mal. A la fin d’octobre 1501, Machiavel, ambassadeur en France, disait au cardinal d’Amboise : « Les Français n’entendent rien à la politique, autrement ils ne laisseraient pas l’église devenir si grande. » Le 25 juillet 1502, après les affaires d’Urbin et de Camerino, Giustinian était informé par le cardinal de Naples que le roi de France venait d’écrire au pape : « Vous n’avez pas le droit de vous rendre le maître de l’Italie in temporalibus, pour le temporel. » Une autre fois, l’orateur vénitien dénonce le plan des deux Borgia: « faire l’Italie d’un seul morceau. » Ils espéraient que Louis XII, s’il sortait vainqueur de son inévitable conflit avec l’Espagne, accepterait la suzeraineté traditionnelle de l’église sur les Deux-Siciles. Pendant quelque temps, ils sacrifièrent tout à l’alliance française. L’été et l’automne de 1501 se passèrent en laborieuses négociations pour le troisième mariage de Lucrèce avec Alphonse d’Este, fils aîné du duc Hercule de Ferrare, ami et client de la France. Le duc, qui représentait la plus vieille dynastie italienne, répugnait à l’alliance de ces redoutables parvenus; le jeune prince n’envisageait pas sans quelque trouble la façon dont les Borgia avaient coutume de rompre les chaînes conjugales de Lucrèce. Les deux pères discutèrent plusieurs mois sur le chiffre de la dot avec une âpreté d’usuriers. Le mariage se fit par la volonté souveraine de Louis XII ; ce fut, pour Lucrèce, le dernier. Alphonse d’Este ne vint point à Rome, où le sacrement fut donné par procuration. Cette. union, le dernier service politique rendu par la jeune femme à sa famille, fut pour elle la délivrance. Le 6 janvier 1502, elle