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que Kant a introduite dans la philosophie; nous avons montré les droits de la conscience à être regardée comme partie intégrante de la réalité, de cette réalité que le philosophe, à la différence du savant, interprète non plus en ses fragmens, mais en son tout. Le prétendu « subjectif » est, en définitive, le côté interne, la face concave de l’objet réel. Loin d’être exclu de la métaphysique ou de n’y entrer que honteux et déguisé, le mental doit, selon nous, y réclamer ouvertement sa place légitime. La métaphysique est sans doute impossible si l’on suppose que la « réalité » est toute en en dehors de la conscience et de l’expérience, c’est-à-dire du sujet pensant ; mais elle est progressivement réalisable si on admet que la réalité est partiellement enveloppée dans notre expérience même, et que la partie a le droit de replacer dans le tout ses élémens constitutifs.

Au lieu donc de se perdre dans « l’Inconnaissable, » la métaphysique nouvelle devra raisonner par analogie avec la seule réalité que nous puissions atteindre, celle de l’expérience intérieure et extérieure. La doctrine la plus vraie sera à la fois, nous l’avons vu, la plus réductible aux données essentielles de l’expérience et la plus capable de les ramener toutes à l’unité par la généralisation; ce sera celle qui offrira ce double mérite d’être la plus expérimentale et la plus unitaire. S’il en est ainsi, il est permis de prévoir, dès à présent, que le système le plus propre à remplir ces deux conditions d’une analyse radicale et d’une synthèse complète sera sans doute celui qu’on appelle aujourd’hui le monisme expérimental, c’est-à-dire le système qui étend au tout une donnée de l’expérience intérieure considérée comme fondamentale et conséquemment universelle. On ne s’entend pas encore sur la donnée à choisir, volonté, appétit, effort, résistance, force, vie, pensée, sentiment; mais on s’entend déjà sur la méthode : Aristote l’avait pressentie, les métaphysiciens contemporains l’ont adoptée, sauf à ne pas toujours l’appliquer.

Le temps n’est plus où la métaphysique pouvait se présenter comme la science absolue, mais ce n’est pas une raison pour la déclarer impossible, pour lui refuser le titre de connaissance, pour la réduire tout entière, soit à la science, soit à la religion, bien qu’elle soit effectivement à sa base la systématisation de la science actuelle, à son sommet la plus haute des poésies et la plus sublime des religions. Tout savoir n’a pas nécessairement pour unique résultat des certitudes : savoir que telle chose est simplement probable, possible, incertaine ou même inconnaissable, c’est encore savoir. On peut déterminer scientifiquement les lacunes et les bornes de notre science, comme on marque dans le firmament constellé de