Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doctrines déterminées, une suggestion croissante en leur faveur. Le monde, dit Lange, est une Iliade que la science épelle phrase par phrase; ajoutons que le sens se dégage de mieux en mieux. Les vérités métaphysiques ont leur expression, quoique incomplète, dans les faits d’expérience; cette expression peut être étudiée et interprétée par une méthode qui n’est pas sans quelque analogie avec celle du calcul infinitésimal. Il y a dans le domaine de notre expérience certaines relations qui invitent l’esprit, par leur constance, à les transporter au-delà de notre expérience actuelle : l’esprit cède ainsi, pour ainsi dire, à la vitesse acquise. Si, par exemple, le domaine de la vie et de la sensibilité s’augmente sans cesse sous les yeux du savant, si, au contraire, le domaine des choses brutes et inertes diminue d’une manière indéfinie, ce sera une confirmation progressive, quoique toujours incomplète, des doctrines qui placent en toutes choses vie, activité, appétit. C’est ainsi que l’apparition de mondes de plus en plus nombreux à des télescopes de plus en plus puissans nous porte à induire l’infinité des mondes. Quand on nous dit qu’au bout d’un certain nombre de lieues il n’y a plus rien qu’un grand vide sans bornes, nous secouons la tête. De même encore certains faits d’expérience observés par une physiologie de plus en plus avancée, comme ceux de suggestion hypnotique, peuvent montrer de plus en plus la dépendance de toutes les opérations psychologiques par rapport aux organes. Le domaine du déterminisme peut aussi aller croissant sous nos yeux, envahir de plus en plus le champ de notre expérience. Les lois de l’évolution peuvent être confirmées de plus en plus par les découvertes scientifiques aux dépens des systèmes qui admettent des solutions de continuité, des hiatus, des sauts dans la nature.

De là, pour les systèmes métaphysiques, la nécessité de s’accommoder à l’état actuel de la psychologie et des sciences de la nature, comme au seul milieu viable. Ainsi que tout ce qui a force et vie, les idées métaphysiques sont soumises à la lutte et à la concurrence vitale, d’où résulte la sélection, le progrès des systèmes. Il y a dans la pensée comme dans la nature une flore antédiluvienne qui tend à disparaître. La persistance d’une idée à travers les âges, la vitalité d’une hypothèse métaphysique révélera sa force d’adaptation à l’atmosphère scientifique. La science toujours élargie ne laissera subsister, au moins à l’état de possibilités, que certaines solutions métaphysiques mieux déterminées et moins nombreuses. M. Renouvier croit qu’il ne restera que deux systèmes en présence, et que la morale permettra seule de choisir, « de parier; » c’est une opinion que nous examinerons dans une étude ultérieure. L’auteur de l’Irreligion de l’avenir admet un plus grand nombre de systèmes possibles; il laisse même la métaphysique