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de tous les êtres. Le problème de la synthèse métaphysique, tel qu’on le conçoit dans la philosophie contemporaine, est donc le suivant : — Quelle est la donnée d’expérience qui, en vertu de l’expérience même, c’est-à-dire, d’une part, de l’analyse psychologique et, d’autre part, des derniers résultats de la science actuelle, se prête le mieux à la généralisation et permet d’interpréter l’univers entier en termes d’expérience? Est-ce la force, comme le croit M. Spencer ; est-ce la sensation, comme le croit M. Taine; est-ce le vouloir, comme le croit Schopenhauer ? l’unité à laquelle aboutira la synthèse ainsi entendue ne sera plus une abstraction, comme dans l’ancienne ontologie, puisque cette synthèse aura consisté à trouver, dans l’expérience même, quelque fondement ou élément concret qui puisse être commun à tous les phénomènes, soit extérieurs, soit intérieurs. Sans doute cette généralisation, cette induction universelle conservera un caractère hypothétique, que présentent elles-mêmes les inductions les plus hardies des sciences positives, mais elle ne sera pas pour cela arbitraire, puisqu’elle s’appuiera sur l’analyse de plus en plus radicale et sur les résultats de plus en plus généraux de notre expérience.


IV.

Comment apprécier la certitude, tout au moins la probabilité de ces grands essais de synthèse philosophique où on s’efforce d’embrasser l’ensemble des choses, comme du sommet d’une montagne on embrasse l’horizon ? La probabilité même est-elle admissible en métaphysique? Un théorème de géométrie n’est pas probable, il est vrai ou faux ; ne doit-il pas en être ainsi des constructions métaphysiques, qui semblent avoir pour objet quelque chose de nécessaire?

Cette objection, comme les précédentes, n’est valable que contre la métaphysique « exclusivement rationnelle. » Celle-ci essaie de se fonder a priori sur des idées de la raison pure ayant un caractère de nécessité absolue; par là elle s’oblige elle-même à être, comme la géométrie, absolument démonstrative et certaine, ou à n’être rien : pas de milieu. A vrai dire, cette métaphysique rationnelle ne salirait atteindre que les formes universelles de la pensée et de l’être, qui enveloppent toutes choses de leur immutabilité au moins apparente, comme le ciel fixe des anciens enveloppait le ciel planétaire. La métaphysique qui cherche non pas seulement les formes, mais le contenu de l’expérience, ne saurait avoir les prétentions de l’ontologie ou de l’éthique spinoziste ; elle est surtout inductive, et l’induction admet la probabilité. «L’appréciation des