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avec raison de ses calculs tout ce qui tient au jeu de la lumière dans ses yeux et dans son télescope : les sciences de la nature, en effet, s’efforcent de connaître les choses telles qu’elles sont indépendamment de tout être sentant et pensant. Mais la métaphysique peut-elle et doit-elle se proposer cette exclusion absolue du sujet qui pense ? Non, puisque son objet est le tout, et que le tout, comprenant des êtres pensans, ne serait pas complet sans une part attribuée à la pensée. Lange adresse à tout métaphysicien le reproche de « mêler son être à l’être des choses, » de faire, « par l’acte même de la synthèse, entrer son propre être dans l’objet. » Ce reproche n’a nullement la portée qu’il lui attribue, et nous l’acceptons volontiers comme un éloge : est-ce qu’en fait notre être n’est pas mêlé à l’être des choses ? L’objet de la métaphysique doit donc nous comprendre nous-mêmes.

Dès lors, pourquoi voulez-vous que la pensée soit complètement éliminée de l’univers, comme si elle n’était pas elle-même une des manifestations, et la plus haute, de l’activité universelle ? Voir le réel à travers la pensée, ce n’est pas enlever au réel sa réalité, c’est la compléter au contraire, en la prolongeant sous cette forme supérieure, condensée, intense, qui est la conscience. L’être qui arrive à exister pour soi est-il donc moins réel que celui qui existerait seulement en soi, s’il y en a de tels ? Tout au contraire. Ainsi nous reconnaissons de nouveau que la science positive, par cela même qu’elle s’efforce d’abstraire le sujet pensant, reste une vue abstraite des choses, tandis que la métaphysique, en laissant sa part légitime au sujet pensant, est une vue plus concrète de la totalité des choses. Ne rabaissons pas le point de vue universel de la métaphysique au point de vue partiel de la science. Montrer que la science est subjective serait lui faire, à son propre point de vue, une objection véritable ; mais la métaphysique, elle, cherchant l’unité même du sujet et de l’objet, ne peut pas ne pas être subjective en même temps qu’objective. Le métaphysicien ne doit pas considérer la pensée comme un pur obstacle à ses recherches, comme une sorte de mal nécessaire, mais bien comme un des élémens indispensables de la solution. Il doit éliminer, autant qu’il est possible, ce qu’il y a dans la pensée d’individuel, de variable, d’accidentel, mais il ne peut se proposer d’abstraire entièrement le monde réel de la pensée : outre que l’amputation est impossible, et que son succès aboutirait à une sorte de suicide intellectuel, le monde ainsi obtenu ne serait plus celui que la métaphysique cherche à se représenter. N’en déplaise aux idéalistes d’une part et aux matérialistes de l’autre, le monde réel, c’est le monde à la fois objectif et subjectif, physique et mental, à moins qu’on ne nous mette nous-mêmes en dehors de la réalité universelle, qui alors ne sera plus universelle. C’est ce qui