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sorte hyperbolique de l’expérience même que nous avons de nos ignorances, des bornes indestructibles de notre savoir. Notion toute limitative, nécessaire pour limiter notre orgueil scientifique, nécessaire aussi pour limiter notre égoïsme pratique, qui, sans cela, ferait du moi le tout. Mais, une fois ce grand point d’interrogation posé aux limites du monde connaissable, nous ne devons plus, par une voie détournée, faire de l’au-delà un objet de connaissance. Comment prétendre déterminer ce qui est indéterminable? Comment voir les ténèbres avec une lumière qui les dissipe?

La réalité qui nous intéresse véritablement est celle qui n’exclut pas toute relation de nous à elle. L’autre n’est peut-être elle-même qu’un mirage lointain de notre pensée. Aussi est-il impossible d’en rester à une métaphysique exclusivement transcendante, qui, pour être rigoureuse, devrait être toute négative et tenir dans ce seul signe : X.

Passons donc à la seconde conception de la réalité, celle d’une existence intérieure en quelque manière aux choses dont nous avons l’expérience, et qui n’est plus toute au-delà de l’expérience même. Aristote définit la métaphysique la science de l’être en tant qu’être ; M. ais, si nous voulons connaître ce que l’être est, que pouvons-nous faire, sinon de nous demander avec quels caractères fondamentaux il est connu? L’être, pour toute métaphysique postérieure à Kant, ne peut donc plus être que l’objet connu et saisi dans la conscience ou, en général, dans l’expérience : par l’expérience seule, et principalement par la réflexion psychologique, nous atteindrons le réel autant qu’il est possible de l’atteindre. Dès lors, nous ne raisonnerons plus de l’expérience à ce qui dépasse l’expérience, même possible; nous raisonnerons par induction de l’expérience partielle à la totalité de l’expérience possible. La « question préalable » opposée par Lange et les kantiens n’aura plus de valeur : la métaphysique ne sera plus condamnée par définition même. Elle aura pour objet non cette partie problématique de la réalité qui est à jamais opaque, mais cette partie certaine qui peut devenir de plus en plus diaphane pour la pensée,

— Mais alors, s’écrieront les disciples de Kant et de Lange, si la métaphysique renonce aux « choses en soi » de Platon, aux objets indépendans de la pensée, elle prendra un caractère tout subjectif! — Le problème est grave et ardu; pour le résoudre, il faut renoncer, selon nous, à une illusion généralement répandue. La terreur du « subjectif » est une obsession que Kant a introduite dans la philosophie, et qui fait que, par un matérialisme inconscient, on assimile la métaphysique aux sciences de la nature. L’astronome qui calcule la place et la distance d’un astre élimine