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cette question indirecte et plus modeste : « Comment l’univers est-il senti, pensé, voulu par la conscience humaine; » quelle est, parmi toutes les conceptions de l’ensemble des choses, celle qui s’accorde le mieux avec elle-même, avec les lois constitutives de la pensée et avec la totalité de notre expérience actuelle?

Il nous semble que les positivistes ne peuvent méconnaître là un problème original. La science de la nature, la science objective se propose d’éliminer, autant qu’elle le peut, la réaction de notre organisme et de notre conscience, pour ne considérer que les choses extérieures et leur action ; son point de vue est donc partiel. La pure psychologie, de son côté, se renferme dans le moi indépendamment de l’univers; son point de vue est encore partiel. La métaphysique, elle, met en rapport les deux termes et cherche quelle est, parmi les diverses façons de réagir, celle qui aboutit à la plus complète harmonie de la conscience avec la réalité universelle. Le point de vue de la métaphysique n’est donc plus partiel, mais total : la « spécialité » du métaphysicien, c’est la recherche de l’universel.

Par cela même, le point de vue métaphysique est le moins « abstrait » de tous, le plus voisin de la réalité concrète. En effet, quand la science de la nature étudie les choses indépendamment de notre réaction propre, il est clair qu’elle coupe le monde en deux et qu’elle en retranche une partie intégrante, à savoir nous-mêmes, notre cerveau, notre conscience : nous aussi, pourtant, nous faisons partie de l’univers. D’autre part, quand la psychologie, comme science positive, se borne à l’étude des faits et des lois de la conscience, il n’est pas moins clair qu’elle s’en tient aussi à une vision unilatérale et abstraite. Quelle est donc la seule perspective sur la réalité concrète? Il faut considérer les deux termes, nature et conscience, dans leur mutuelle action, chercher le système le plus simple et le plus complet dans lequel cette action et cette réaction puissent être comprises. En astronomie, n’étudier que l’influence du soleil sur la terre ou celle de la terre sur le soleil, ce serait s’en tenir à de simples extraits de l’universelle gravitation: de fait, les deux astres s’influencent l’un l’autre et sont influencés par la totalité des corps célestes. La métaphysique est, de toutes les études, la seule qui soit orientée vers la réalité même.

Aussi la métaphysique, selon nous, doit-elle être une synthèse de la psychologie et de la cosmologie, synthèse originale qui ne peut rentrer dans le domaine d’aucune de ces deux sciences. Étant donnés les élémens les plus irréductibles de l’expérience psychologique, d’une part, et les lois les plus générales du monde, d’autre part, quelle lumière les premiers peuvent-ils répandre sur les seconds, et réciproquement? Jusqu’à quel point peut-on interpréter