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et s’il a souvent substitué la fantaisie à l’expérience, c’est peut-être qu’il est difficile de rompre d’un coup avec le passé. Son disciple, l’auteur de la Philosophie de l’inconscient, pour parer d’une étiquette séduisante ses spéculations les plus arbitraires, a inscrit ces mots sous le titre même de son livre : «Résultats spéculatifs obtenus par la méthode inductive des sciences de la nature. » M. de Hartmann n’ayant suivi nulle part la méthode annoncée, il n’est pas étonnant qu’il ait écrit une pure apocalypse. Lotze fait une large part à l’expérience dans sa Métaphysique, M. Wundt, esprit éminemment scientifique, est arrivé à une vue d’ensemble sur le monde où la volonté occupe le rang d’élément primitif. En Angleterre, la production métaphysique est considérable; la revue du Mind, consacrée en principe à la psychologie, est envahie par la métaphysique. Seulement les nouveaux métaphysiciens anglais, laissant à l’Allemagne ce que Heine appelait « le clair de lune transcendental, » déclarent travailler au grand jour de l’expérience. M. Spencer a essayé de systématiser l’expérience entière ; Clifford donne pour fond positif à toutes choses ce qu’il appelle l’étoffe mentale (mind-stuff), M. Hodgson, dans sa Philosophie de la réflexion, représente le monde entier de l’expérience comme l’objet de la vraie métaphysique. Que M. Spencer, en s’attachant à la vague notion de force et en abusant du mécanisme, ait réussi à faire convenablement, soit l’analyse préalable, soit la synthèse finale de l’expérience, c’est une tout autre question; de même pour les théories de Clifford et de M. Hodgson ; mais c’est la méthode qui importe. En France, M. Ravaisson, M. Taine, M. Renouvier, M. Vacherot, — Et plusieurs autres, — ont aussi, à des points de vue très divers et avec des succès très divers, invoqué l’expérience, tenté de faire reposer une synthèse universelle sur l’analyse des premières données de la conscience, sensation, représentation, pensée, action, etc. On peut donc dire que, dans tous les pays, la crise philosophique aboutit à une direction nouvelle des recherches. Si les résultats obtenus nous offrent encore un mélange d’ontologie abstraite et d’expérience véritable, c’est probablement parce que nous sommes à une période de transition. Il n’en est pas moins vrai que la métaphysique, loin de consentir à se perdre dans la poésie et dans la rêverie, prétend aujourd’hui se constituer comme savoir en partie expérimental, en partie inductif et déductif.

Le sort de la métaphysique est si étroitement lié à celui de la morale et de la religion que Schopenhauer a pu dire : « La morale est suspendue tout entière à cette affirmation : il y a une métaphysique. » Aussi est-il superflu d’insister sur la gravité de la crise actuelle. Tout homme qui pense et agit a le devoir d’aborder les