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servir « pour l’honneur. » Et les mêmes législateurs qui demandent 25 francs pour remplir un office très honorifique s’étonnent qu’on manque de bonne volonté à exercer, presque pour rien, un métier si peu honoré qu’un mot de mauvaise humeur, trop vite lâché dans un jour d’ivresse, peut priver celui qui l’exerce de la prime, fruit de plusieurs années de travail.

Une excellente réforme financière consisterait à appliquer à la plupart des services le système de l’abonnement, qui fonctionne seulement aujourd’hui dans les préfectures et sous-préfectures, recettes générales et particulières, et directions de l’enregistrement, où il donne de bons résultats. Il est de notoriété que tout ce que fait l’état est fait plus chèrement, sans être meilleur, que ce qui est fait par l’industrie privée. La raison en est bien simple : personne n’apporte à la défense des intérêts de « tout le monde » l’âpreté que chaque homme intelligent met à la défense des siens propres. L’état est comme ces propriétaires qui perdent de l’argent à faire valoir eux-mêmes leurs terres, sur lesquelles des fermiers s’enrichiront, tout en payant une honnête redevance. Pour les fournitures militaires, le passage de la gestion directe à l’entreprise a fait économiser des millions au ministère de la guerre. Dans le service pénitentiaire, la journée d’un détenu de maison centrale coûte à l’état : en régie, 0 fr. 80, et à l’entreprise, 0 fr. 26. L’abonnement est au personnel ce que l’entreprise est au matériel. L’état traiterait à forfait avec les directeurs et les chefs d’emploi, qui se chargeraient d’une branche d’administration sous leur responsabilité. Ce système est si raisonnable, si économique, que dans les préfectures et sous-préfectures, où le travail est parfaitement exécuté, il reste encore à certains préfets des bonis qui atteignent 10,000 et 12,000 francs, bien que le fonds d’abonnement ait peu augmenté depuis une vingtaine d’années. Les employés, il est vrai, gagnent peu et travaillent beaucoup. Le chef, de son côté, a l’œil ouvert sur le prix des impressions et discute lui-même la note du marchand de combustible. Le ministère de la justice était, en 1847, abonné à une somme fixe, au moyen de laquelle les directeurs pourvoyaient à tout chauffage, éclairage et fournitures de bureau. Cette somme était de 27,800 francs ; aujourd’hui, où cet abonnement n’existe plus, un crédit de 105,000 francs est inscrit au budget pour les mêmes dépenses.

Quelques personnes pensent que la vénalité aurait plus de prise sur des subalternes peu rétribués, qui seraient choisis et renvoyés par leurs supérieurs immédiats, que sur les commis-fonctionnaires d’état. Cette crainte est purement chimérique ; dans les trois quarts des ministères, il n’y a rien à cacher ni rien par conséquent à acheter,