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comme si le conseil municipal de Paris, où l’on ne gagne rien, n’était pas aussi bien garni d’élémens populaires que la chambre des députés, où l’on gagne 9,000 francs. La France aurait gratis, si elle le voulait, des législateurs, des préfets, des magistrats, des diplomates, qui vaudraient absolument ceux qu’elle rétribue aujourd’hui, et qui seraient, si elle y tenait, tout aussi républicains. Elle en a eu longtemps ; en d’autres pays on en a encore. En se faisant servir « pour la gloire, » l’état réalise au profit de la communauté une économie que seul il est en mesure de faire. Souvent, le travail ainsi obtenu n’était pas sur le marché. Le propriétaire de ce travail, riche sans doute, et peut-être oisif, ne l’eût pas mis en vente ; il l’échange contre une certaine somme de considération. Ce travail est donc un gain social.

Pour ses fonctions rétribuées, l’état ne doit augmenter leur rétribution que s’il manque de titulaires capables. Du moment que la demande est suffisamment abondante, il est coupable d’élever le prix de l’offre. Agir autrement, augmenter sans motif le traitement des fonctionnaires grands ou petits, — Et il ne peut y avoir d’autre motif valable d’augmentation que le défaut de candidats, — c’est commettre un acte du plus dangereux socialisme, c’est fausser les conditions du travail et faire concurrence, avec la bourse de l’état, à chacun des membres de l’état ; industriels, commerçans ou cultivateurs. Il est dans la nature française de rechercher les emplois de gouvernement et de s’y plaire, comme il est dans la constitution de certaines plantes d’aimer la pluie ou la sécheresse. Des individus, qui ne sont ni plus sots ni moins honnêtes que d’autres, préféreront une fonction publique à moitié salaire d’une fonction privée. C’est une grande supériorité que l’état a chez nous sur les particuliers, et qu’il n’a pas en Angleterre ou en Amérique. En prenant pour règle l’offre et la demande, en laissant les intéressés fixer pour ainsi dire eux-mêmes le chiffre de leurs appointemens, on donnera vraiment à chacun ce qui lui est dû. Aujourd’hui on s’étonne de manquer de sous-officiers et d’avoir trop d’instituteurs ; c’est vraisemblablement que le métier d’instituteur est trop bon, et que la profession de sous-officier est trop mauvaise, trop peu rémunérée. Si l’on donnait demain aux sous-officiers le traitement des instituteurs, on en aurait suffisamment ; au contraire, si on offrait aux instituteurs les 317 francs annuels des sergens, on en chômerait tout de suite. Durant les mois qui ont suivi le krach de 1882, les rengagemens de sous-officiers furent beaucoup plus nombreux, parce que les débouchés civils faisaient momentanément défaut. Gagner 0 fr. 87 par jour pour porter des galons sur ses manches, tandis que le moindre garçon de bureau reçoit 3 et 4 francs, c’est