Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux fils des serviteurs publics, les bourses étaient, comme les pensions et les secours, un supplément de traitement ; accordées à quelque sujet d’élite qui s’était distingué dans les concours, elles étaient une avance dont la société jugeait (à tort ou à raison) devoir être remboursée un jour. De quel droit étendre cette faveur avec la profusion que l’on sait? De quel droit l’étendre aux filles, qui ne rempliront aucun emploi public, et n’en feront ni plus ni moins d’enfans à la république? Si le niveau intellectuel de la nation française était tellement bas que l’on ne pût se procurer, pour les fonctions qui exigent certaines connaissances spéciales, le nombre de gens dont on a besoin ; si nous manquions de mathématiciens et de jurisconsultes, je comprendrais que l’état prélevât sur le produit de l’impôt de quoi former ses futurs ingénieurs et ses futurs juges. Mais n’avons-nous pas assez de personnages instruits? Ne pourrait-on presque dire que nous en avons trop, puisque nous ne pouvons les utiliser tous? Le marché est encombré par une production telle que l’offre est de beaucoup supérieure à la demande, et que l’exagération de l’instruction ferait croire à l’inutilité de l’instruction. Le pavé est battu et rebattu par des gens d’un savoir très supérieur à l’emploi qu’ils doivent exercer en ce monde. Chaque année se présentent au concours de telle administration des jeunes gens qui sont deux ou trois fois docteurs, et dont l’occupation, une fois nommés, consistera à copier des lettres et à les cacheter.

Puis, par une inconcevable contradiction, l’entrée des carrières officielles, qui est étroite par en bas, est aisée par en haut. Si rien n’est plus compliqué que d’obtenir une place de 1,500 francs, rien n’est plus facile que d’en obtenir une de 15,000. Seulement il faut y être désigné directement ou indirectement par le suffrage universel ; autrement dit être l’élu du peuple, le parent ou l’ami de l’élu du peuple. Il n’est plus que l’armée où, pour être général, il faille d’abord avoir été colonel ; partout ailleurs, on entre de plain-pied dans les grades élevés. Voyant ses droits sacrifiés, l’employé compétent se décourage, s’en va s’il le peut, ou travaille le moins possible s’il demeure. On a mis dans les 86 trésoreries générales : 8 anciens députés, 20 anciens préfets, 4 conseillers-généraux, 1 conseiller d’arrondissement, 1 ancien sous-préfet, plusieurs maires, 1 entrepreneur de tabacs, 1 notaire, un architecte, 2 marchands de vin, 1 marchand de nouveauté, 1 petit escompteur ; ce qu’on y voit le moins, ce sont d’anciens receveurs particuliers. On fait de même un peu partout.

La parfaite équité n’étant pas de ce monde, je ne prétends pas que le régime actuel soit le créateur de tous les abus du fonctionnarisme