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gravement la marche du service, et que les gazelles les plus autorisées supplient le parlement « de n’aller ni trop vite ni trop loin,.. de ne pas couper des boutons à fruit pour du bois mort ou des gourmands. » Avec ces maximes, telle administration qui coûtait 1,900,000 francs, il y a dix ans, revient aujourd’hui à 4 millions, sans être au corps social d’une utilité plus grande. Par un décret peu bruyant, un ministre porte de 80 à 120 le chiffre des gardes-mines, et par des votes, plus faciles parfois à obtenir que des décrets, on augmente de 9 le nombre des conservateurs des forêts, de 50 le nombre des inspecteurs et de 6 millions 1/2 les frais d’exploitation des bois de l’état. Ce qu’on n’augmente pas, c’est le revenu de ces mêmes bois, qui de 38 millions tombe à 28 ; de sorte qu’aujourd’hui, déduction faite de la dépense ordinaire, notre million d’hectares de forêts nationales rapporte à la communauté française la somme de 14 francs par hectare et par an, dont aucun particulier ne se contenterait, et qui, du reste, est inférieure de moitié ou des deux tiers à ce que produisent les bois les plus médiocres de notre pays.

Une autre cause d’extension du fonctionnarisme, ce sont les besognes dont le pouvoir public s’est chargé sans qu’elles lui incombassent: tels, dans le domaine industriel, les chemins de fer dits de l’état, qui auraient dû plusieurs fois faire faillite en fin d’exercice, s’ils marchaient dans les conditions normales d’une entreprise ordinaire, mais qui fournissent aux partis l’occasion si tentante de récompenser par des emplois les gens qu’ils affectionnent ; tels les canaux politiques, les voies ferrées électorales, les ports et bassins de propagande. « Certain canal de l’Est, dit M. Lesguillier, ancien sous-secrétaire d’état des travaux publics, a été entrepris pour amener de la houille à une localité industrielle déjà desservie par le chemin de fer. » Rendue aux usines, la houille coûtait jusqu’alors 25 francs par tonne. L’intérêt de la dépense d’établissement du canal, réparti sur la consommation, atteindra 28 francs par tonne. Il en résulte que si, au lieu de construire le canal, l’état achetait la houille sur le carreau de la mine, payait son transport par chemin de fer et la livrait gratuitement aux usiniers, il gagnerait encore 3 francs par tonne.

Des faits de même ordre se produisent, dans le domaine moral, par suite de la transformation radicale de l’instruction publique. Des 38 millions de 1869, le budget de ce ministère est passé à 50 millions en 1875 et à 170 millions en 1887, et n’a peut-être pas terminé sa marche ascensionnelle. Avant 1875, il n’y avait pas d’enfant qui ne pût recevoir l’instruction primaire, gratuite pour les indigens. Si tous les jeunes Français sans exception ne fréquentaient