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pratiques, aux relations nécessaires, permanentes de deux pays, la raison finit toujours par avoir raison, — dût l’importance de M. Crispi en souffrir !

Le parlement d’Angleterre, reposé par de longues vacances, vient de s’ouvrir le dernier, après tous les parlemens de l’Europe. La session nouvelle a été inaugurée par un discours lu au nom de la reine, discours qui n’a rien de brillant, qui n’avait d’ailleurs à annoncer aucun événement d’un intérêt national, et qui n’est, en définitive, que le résumé assez pâle, assez terne, d’une situation où les difficultés ne manquent pas. Les difficultés extérieures ne sont peut-être pas les plus sérieuses ou les plus pressantes. De toutes les nations, l’Angleterre est toujours la moins engagée dans les complications européennes. C’est pour elle une tradition de ne jamais se lier par des alliances vagues et générales. Elle ne se désintéresse assurément de rien, ni de l’Orient, ni de l’Occident ; elle regarde les affaires de l’Europe de loin, elle ne s’y mêle que quand elle le veut, dans la mesure où elle le veut, pour un intérêt précis, pour une action déterminée. L’Angleterre a-t-elle cru devoir récemment sortir de cette réserve de tradition et entrer de façon ou d’autre dans cette coalition qui s’appelle la triple alliance ? A-t-elle été appelée par une bonne plaisanterie, elle, la maîtresse de Gibraltar, de Malte, de Chypre, de l’Égypte, à garantir avec d’autres l’équilibre de la Méditerranée ? Dans quelle mesure se serait-elle associée à ces combinaisons ? C’est une des premières questions adressées au ministère de la reine dès l’ouverture du parlement. On a demandé au gouvernement s’il était vrai qu’il eût pris des engagemens avec certaines puissances de l’Europe. La réponse n’a peut-être pas été des plus précises ; il en résulte toutefois que, s’il y a quelque chose, l’Angleterre ne s’est point engagée jusqu’à « l’action matérielle, » jusqu’à une « responsabilité militaire. » Cela veut dire que l’Angleterre reste juge de ce qu’elle fera. Elle n’est sûrement pas pressée de se jeter dans des complications extérieures ; les difficultés intérieures lui suffisent pour le moment : elle a bien assez de l’Irlande. Le ministère de lord Salisbury se flatte, il est vrai, — le discours de la reine le dit, — d’avoir obtenu des résultats satisfaisans par ses mesures répressives, d’avoir découragé les complots, les crimes agraires. D’un autre côté, M. Gladstone, qui vient de retremper ses forces dans un voyage en Italie, et qui a été exact au rendez-vous parlementaire, ne montre aucune impatience de reprendre la lutte. M. Parnell lui-même attend encore ; mais la question est toujours là irritante, poignante, implacable comme une fatalité, et, tant qu’elle ne sera pas résolue, elle pèsera sur tous les ministères, sur le parlement, sur la nation britannique.

CH. DE MAZADE.