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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 février.

Un des phénomènes les plus curieux, entre bien d’autres, de cette période ingrate que nous traversons en France, c’est la disproportion entre les événemens qui se déroulent ou se préparent, qui nous pressent de toutes parts, et les hommes qui passent ou repassent sans cesse sur la scène publique. Que voulez-vous ? c’est un fait ! Jamais il n’y eut autour de nous une telle accumulation de nuages noirs, d’événemens sérieux et redoutables, menaçans pour la paix, pour l’Europe, pour notre pays, pour tous les pays ; jamais peut-être aussi les hommes appelés à représenter et à gouverner la France, chargés de tous les rôles publics, n’ont montré plus de légèreté ignorante et brouillonne dans le maniement des affaires d’une nation, plus de médiocrité et d’impuissance. Les événemens sont grands, ils peuvent devenir plus grands encore ; les hommes sont petits, inférieurs à la situation où la fortune du temps les a placés : voilà qui est certain ! Ce n’est pas tout à fait la faute des hommes qui ont eu la domination et l’influence depuis quelques années, dira-t-on. Ils ont été improvisés hommes d’état ; ils ont été portés par des mouvemens incohérens d’opinion à la direction des affaires sans une préparation suffisante, sans connaître tous ces délicats et puissans ressorts qui font la force d’une nation. C’est possible. Ils pouvaient du moins suppléer à l’expérience qui leur manquait par un peu de modestie et de réserve, par une étude attentive et sincère de ce qu’ils ne savaient pas, par des ménagemens pour des intérêts, des sentimens et des traditions qu’on ne violente pas impunément ; mais non ! ils ont pénétré dans les affaires publiques en envahisseurs bruyans, alliant la présomption à la médiocrité. Ils ont cru que quelques milliers de voix