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REVUE DRAMATIQUE

Théâtre des Variétés : Décoré, comédie en 3 actes, de M. Henri Meilhac.


« Ce n’est qu’une farce, » disent les gens qui font la petite bouche plutôt que de rire, ou qui s’obligent à cette grimace après avoir ri. Hé! quand même Décoré ne serait qu’une farce!.. depuis quel décret la farce, en France, est-elle méprisable? Le plus grand poète comique de ce pays, où la gaîté compte parmi les vertus nationales, Molière, n’a pas dédaigné ce genre : il était l’auteur du Misanthrope, quand il écrivit le Médecin malgré lui; l’auteur du Misanthrope et du Tartufe, quand il écrivit George Dandin, Monsieur de Pourceaugnac, le Bourgeois gentilhomme, et enfin, — après un intervalle où prennent place les Femmes savantes, — cette bouffonnerie suprême, le Malade imaginaire. Précisément, Sainte-Beuve (un juge assez délicat, je pense!) a touché ce point, de plusieurs coups de plume assez nets : « Molière, jusqu’à sa mort, fut en progrès continuel dans la poésie du comique... Il faut admirer ce surcroît toujours montant et bouillonnant de verve comique, très folle, très riche, très inépuisable... Monsieur de Pourceaugnac, le Bourgeois gentilhomme, le Malade imaginaire, attestent au plus haut point ce comique jaillissant et imprévu qui, à sa manière, rivalise en fantaisie avec le Songe d’une nuit d’été et la Tempête... Molière s’y complut et s’y exalta comme éperdument... » Sainte-Beuve, devant ce lyrisme particulier, où Molière « se jetait d’ironie à la fois et de gaîté de cœur, » ne prend pas des airs de rabat-joie; il laisse au pédant Schlegel, qui n’est pas tenu de sentir à la française, les fonctions de trouble-fête ; il préfère donner au grand homme un éloge de plus pour s’être abandonné ainsi, étant l’observateur, le moraliste qu’il