Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/941

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Monsoreau. Dans l’air de Bussy, encore les défauts habituels. Après quelques bonnes mesures, la mélodie s’étrangle. Puis arrive la sentimentalité, la prétention, et une de ces conclusions gauches, toujours prématurées ou tardives, qui détruisent l’équilibre, la pondération de la phrase. Après les mots : Ouvre tes ailes, un trou dans la mélodie et une cadence vulgaire. Quant à l’air de Monsoreau, lamentable complainte, on dirait un air d’aveugle.

Ce n’est point la peine de poursuivre ; il y aurait trop peu d’épaves à recueillir. Si au moins, de cette œuvre sans dessous, sans fond, les dehors étaient séduisans et la forme attrayante ; si l’on pouvait, faute d’art véritable, se laisser prendre à de charmans artifices, au prestige des procédés, aux illusions du métier. Mais non ; il n’y a guère plus de talent ici que de génie. L’orchestre, ce roi des opéras modernes, est loin de régner dans celui-ci. Toujours terne, en dedans, sans relief et sans couleur, l’instrumentation semble par momens irrationnelle et laissée au hasard. J’ai noté au passage des intentions inexplicables, des contre-sens d’orchestre : une lugubre ritournelle de clarinette basse avant une fade romance de Bussy, un solo de flûte au milieu des violences d’un duo entre Diane et Monsoreau. Partout les instrumens sont employés sans discernement, les timbres groupés sans goût. Les harpes notamment partent à tort et à travers, comme des folles. Que peuvent-elles bien avoir à faire avec de semblables paroles : Ce vieillard si redouté naguère ? Enfin le ballet, qui parfois sauve, au moins le premier soir, les plus médiocres partitions, a consommé la perte de celle-ci. Tout lui manque : le fond et la forme. Un aveugle n’aurait jamais le courage de l’entendre.

Hélas ! voilà de dures paroles, et qui coûtent à prononcer, surtout à écrire. Est-ce à dire que M. Salvayre n’a plus le moindre talent, qu’il doit renoncer à son art ? En aucune façon. Outre que pour composer un opéra, fût-il détestable, il faut déjà du talent, en art aucune chute n’est mortelle, surtout à l’âge de M. Salvayre. Il y avait jadis quelque chose là ; ce quelque chose peut revenir. L’auteur d’Egmont et de la Dame de Monsoreau reste l’auteur du Bravo. Qu’il garde ce titre, réel, bien que déjà lointain, à l’estime des musiciens et, malgré tout, à leur confiance.

Tout le monde a vaillamment combattu ce combat perdu d’avance. Douze gardes républicains ont même combattu à cheval, à la fin d’un cortège dont les splendeurs, équestres ou autres, n’avaient pas encore été égalées à l’Opéra. La mise en scène est splendide, et la direction a fait les choses avec luxe et avec goût. Si M. Salvayre ne sait pas grouper les sons, M. Bianchini, le dessinateur des costumes, sait merveilleusement grouper les couleurs ; il a été le sauveur du ballet. Quant aux interprètes musicaux, ils ont accompli leur tâche avec autant