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un agrandissement sur le Danube et un rôle prépondérant dans les Balkans. C’est à son attitude équivoque, à l’appui moral qu’elle avait prêté à la Russie, à ses agissemens en Allemagne et à la contrebande de guerre pratiquée sur ses frontières orientales, qu’elles attribuaient leurs déconvenues. Aussi lui tenaient-elles la dragée haute; elles demandaient au cabinet de Berlin, comme condition préalable de son admission, l’engagement contractuel de s’assimiler les préliminaires et de les détendre militairement si les négociations étaient rompues. Mais ni le roi ni le ministre ne voulaient faire dépendre leur admission d’un marché qui les eût, à la dernière heure, irrémédiablement compromis avec la Russie.

M. de Manteuffel s’adressa au marquis de Moustier; il le savait conciliant, désireux de maintenir intactes et cordiales les relations entre les deux pays. « Le président du conseil m’a fait clairement entendre, écrivait notre envoyé, que le roi compte sur la magnanimité de l’empereur, et qu’il ne veut à aucun prix paraître au congrès par la grâce de M. de Buol ou sous son patronage. Vous n’aurez pas à regretter le service que vous nous rendrez, m’a-t-il dit, Vous n’aurez qu’à vous louer de nous en nous admettant. C’est sur vous seuls que nous comptons : l’Angleterre nous garde rancune, l’Autriche nous jalouse et la Russie ne souhaite pas de nous voir à Paris ; elle espère que le mécontentement que nous causera notre exclusion nous livrera à elle. Je m’en suis bien aperçu dans mes entretiens avec le comte Orlof : tout en m’offrant ses bons offices, il n’a pas cessé de me répéter que notre altitude était pleine de dignité, qu’il nous engageait à y persévérer et à repousser toutes les avances qui pourraient nous être faites. »

M. de Bismarck, pas plus que son ministre, ne se faisait d’illusions sur la sincérité du cabinet de Pétersbourg. « Je partage votre opinion, écrivait-il le 15 février, que les efforts de la Russie pour obtenir notre admission au congrès ne sont pas sérieux ; elle exploite notre élimination; notre irritation d’être exclus la servira mieux que notre présence. »

le marquis de Moustier, en apostillant auprès de son gouvernement la demande et les promesses de M. de Manteuffel, disait en terminant : « Les sentimens du roi à notre égard se sont, en effet, dans ces derniers temps, modifiés d’une manière sensible, et l’empereur jugera s’il ne nous serait pas utile d’encourager des dispositions qui iraient peut-être, avec le temps, plus loin que tout ce qui s’est passé depuis deux ans ne pourrait le faire supposer. »

c’est vers la France que se retournaient les regards du roi de Prusse, de son ministre des affaires étrangères, et tardivement aussi ceux de son délégué à la Diète de Francfort.

« L’exclusion de la Prusse n’est nullement décidée, écrivait M. de