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doute, le désir d’une seconde épreuve et l’espoir d’une découverte. Si encore on se trouvait en présence d’une tendance quelconque, d’un système, fût-il dangereux ou discutable! Mais on ne peut discuter une œuvre qui s’impose par sa médiocrité, l’Opéra, depuis quelques années, ne nous avait pas servi pareille redevance. Où est la forte structure de Patrie, la grâce du Cid? Où sont les mâles beautés d’Henri VIII, et surtout la noblesse et la poésie de Sigurd? Dans chacun de ces ouvrages, il y avait énormément de talent et même un peu de génie. Mais voici la première fois qu’un musicien, capable d’écrire matériellement un grand opéra, ne rencontre pas, en quatre heures de musique, au moins un quart d’heure d’inspiration.

Que pourrait-on louer? l’ensemble? Il ne se tient pas. Les caractères musicaux ? Ils ne sont pas dessinés. Aucune figure ne se détache. Bussy, Monsoreau, Diane, sont trois voix différentes, mais non trois personnages. Quant aux rôles accessoires, ils encombrent la scène au lieu de l’animer. De couleur locale ou historique, pas un soupçon. Cette musique est une musique quelconque, qui siérait à la cour de Louis-Philippe autant qu’à celle de Henri III. Pas même une silhouette d’architecture, pas une tourelle à l’horizon. Ah ! la petite procession et le couvre-feu des Huguenots; le passage sur la Seine du cadavre de Comminges ! l’entrée de Raoul chez Nevers, ou celle de Mergy chez la reine Margot ! Mais aussi pourquoi tenter d’aussi périlleuses aventures, provoquer des comparaisons fatales? Meyerbeer, et, dans de moindres proportions, Hérold, ont seuls rendu en musique l’esprit de la renaissance et l’aspect du vieux Paris. Seuls ils ont fait de la musique historique ; ils ont été artistes à la façon de Michelet. M. Salvayre n’a pas le secret de ces récitatifs caractéristiques qui font des Huguenots ou du Pré aux clercs jusque dans le détail des œuvres exactes, et pour ainsi dire ressemblantes. Pas un acte, pas même un entr’acte de la Dame de Monsoreau n’est un tableau. La chanson de Bussy : Un beau chercheur de noise n’est pas une chanson de raffiné; la rapsodie soldatesque (sic) ne nous transporte point dans le quartier des Tournelles ; il y a disparate entre la musique et le décor. De même au premier acte. Diane, prisonnière dans le château de Baugé, cherche à se reconnaître; elle ouvre la croisée et voit un étang endormi sous un rayon de lune. Il y a là un effet descriptif qu’un Irait de violon, une avviolinata pouvait rendre ; mais l’avviolinata trouvée par le compositeur n’est pas celle qu’il fallait. Ainsi, le caractère et la couleur manquent à cette musique, et lui manquent partout. Le sentiment dramatique ne lui manque pas moins. Pas une fois elle n’ajoute aux situations; souvent même elle les contredit.

Essayons toutefois une rapide revue de cette partition à peu près vide. Que trouve-t-on au second tableau, les Noces de Saint-Luc ? Une