l’intérêt de la France est d’accord avec celui de la Russie, qui ne saurait non plus voir de bon œil la descente de l’Autriche vers le sud-est.
De même, à l’inverse de Berlin, la France aurait tout à gagner à un rapprochement durable de l’Autriche et de la Russie. C’est là chose difficile ; mais, quand ce serait un rêve, ce devrait être le rêve de la diplomatie française. S’il y a des panslavistes à Moscou, tous les Russes sont loin de l’être. La chancellerie impériale ne leur est point inféodée; le testament de Pierre le Grand est un apocryphe qui n’a d’autorité qu’en Occident. Entre la Russie et l’Autriche, le plus grand obstacle n’est peut-être ni à Vienne ni à Pétersbourg, mais là même où l’on fait mine de travailler à les concilier, à Berlin. S’il n’y avait un chancelier intéressé à fomenter leurs défiances, un rapprochement ne serait pas impossible. Il suifirait pour cela qu’au Palais d’hiver et à la Hofburg prévalussent les idées pacifiques, les idées pratiques. En se faisant des concessions réciproques, en délimitant leur sphère d’influence en Orient, les deux empires rivaux apprendraient à vivre en paix côte à côte. Si la Russie n’a d’autre ambition que le développement normal de ses congénères slaves, une pareille entente n’a rien de chimérique. Le jour où l’Autriche, rassurée du côté de la Galicie et du bas Danube, marcherait d’accord avec la Russie, l’hégémonie prussienne aurait pris fin. Ce jour-là, notre pauvre Europe pourrait enfin respirer et renoncer aux armemens qui la ruinent.
En attendant, pendant que Paris a les yeux sur Berlin, il se pourrait que Pétersbourg ne visât que Vienne. Il ne faudrait pas que la Russie se servît de la France pour isoler l’Autriche en immobilisant l’Allemagne, sauf, après la victoire, à donner au Hohenzollern une part des dépouilles du Hapsbourg. Si, pour le malheur de l’Europe, une intervention russe en Bulgarie devait amener un conflit entre la Russie et l’Autriche, qu’on se représente ce que serait, durant un pareil duel, le tête-à-tête de l’Allemagne et de la France demeurées sur le terrain comme les témoins du combat. N’y a-t-il pas là pour les Français un motif d’extrême réserve ?
Il en est un autre. C’est la situation intérieure et la constitution politique de la Russie, son régime financier et son système militaire, ses difficultés de mobilisation, en un mot toutes les conditions d’existence de ce lourd colosse russe.
Quel empire que cette énorme Russie ! Assise sur deux parties du monde, elle semble faite pour dominer le vieux continent. Tout