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politiques, mais qu’elles ne l’effacent point. A Paris, on tient peu de compte de ce fait. Les démocrates français se montrent bons princes vis-à-vis de l’autocratie ; ils crient sans scrupules : « Vive le tsar! » Ils ont si bien oublié leurs incartades anciennes qu’ils les prennent pour une légende. Ils sont plus russophiles qu’ils n’ont jamais été polonophiles. Pétersbourg est plus réservé. L’ambassadeur du tsar a fait trois ans la sourde oreille aux avances de M. Floquet, et le jour où M. de Mohrenheim consent à s’asseoir à la table du président de la chambre est salué comme un triomphe pour la république. A Paris, on acclame volontiers le Boje tsaria khranï; je ne sache pas que les régimens russes aient encore joué la Marseillaise à Moscou. Ce ne sont là, sans doute, que de petits faits ; mais ce sont des indices qu’il serait peut-être imprudent de négliger. La France s’apprête à célébrer le centenaire de 1789; déjà la tour Eiffel, la maigre Babel, dresse sur le Champ de Mars son squelette de fer. La Russie n’entend pas prendre part à l’exposition universelle. Si elle laisse ses marchands ou ses artistes y envoyer quelques échantillons, il est douteux qu’elle encourage ses jeunes gens à faire un pèlerinage aux lieux saints de la révolution. Entre la république française et la Russie officielle, il reste donc toujours une barrière morale ; il ne faudrait pas qu’elle se relevât jusqu’à devenir malaisée à franchir.

Un autre fait, en grande partie connexe, frappe l’observateur. A travers ces démonstrations réciproques d’amitié, l’on fait plus d’un côté que de l’autre. L’on fait peut-être trop d’un côté. On a un peu oublié à Paris qu’un des moyens d’attirer à soi, c’est de se faire désirer. Certains Français, dans leur engouement pour le Nord, ont l’air de vouloir jeter la France à la tête de la Russie. On en a vu demander à la presse russe ou aux représentans du tsar leur avis sur les candidats à la présidence ou aux ministères. Ce ne sont pas là des façons dignes d’un pays comme la France, et ce n’est pas de cette manière qu’on peut en faire estimer l’amitié. À cette vieille France de Louis XIV et de Napoléon, certains démocrates ont l’air de chercher moins un allié qu’un patron. Sous prétexte de la relever, ils tendent ingénument à la ravaler au rang d’une Serbie ou d’un Monténégro. Ce n’est pas ainsi qu’une grande nation conclut ses alliances, et la France n’est pas encore une assez mince puissance pour être la cliente de personne.

De même, nombre de Français, croyant rendre l’alliance plus facile, affectent de ne voir à la Russie et à la France que des intérêts communs. Les Russes, jaloux de s’assurer un appui en Occident, ne manquent pas de les y encourager. Les deux pays, entend-on répéter, ont les mêmes adversaires. N’étant nulle part en