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chevaux qui ont gagné des prix sont astreints à porter une surcharge. Il en est ainsi de la France vis-à-vis de ses concurrens. Avant que le signal du départ ait été donné, elle a eu la présomption de se mettre elle-même dans des conditions d’infériorité. Les ressources qu’il lui fallait épargner pour les jours de péril, ses gouvernans les ont gaspillées d’avance en places inutiles et en chemins de fer électoraux. On reconnaît le mal aujourd’hui ; on sent qu’il est urgent de refaire les finances de la France; mais qui s’en chargera? Est-ce le radicalisme, qui fait profession de promettre la diminution des impôts? On sait, hélas! ce que valent en finances les théories radicales! Pour elles, le capital est un animal nuisible à pourchasser en toute saison, au risque de le détruire ou de le faire émigrer. Un gouvernement radical est forcément un gouvernement cher. Il est cher, pour ainsi dire, par définition. La vocation du radical, c’est de faire du neuf; il se plaît à démolir pour reconstruire sur un nouveau plan ; et, en politique, tout comme ailleurs, rien de plus dispendieux que la manie de la truelle.

En est-il de l’armée comme des finances? Pas encore, heureusement ; mais le jour approche où l’armée française va être soumise, elle aussi, aux expériences démocratiques. Le radicalisme a déjà remporté sur elle une victoire. Sous prétexte d’égalité, il a fait adopter une bonne partie de son programme. La France a aujourd’hui une armée nombreuse, exercée, bien équipée, des officiers pleins d’entrain, des soldats qui, en dépit des mœurs politiques, semblent avoir conservé la discipline. Cette armée, le pays a le droit d’en être fier. A l’Allemagne, les Français n’ont peut-être à envier que son état-major et sa tradition. La loi militaire votée par l’assemblée nationale a, dans son ensemble, donné des résultats excellens. Et voici que cette loi, au lieu d’en corriger les défectuosités de détail, on la sacrifie à la réclame électorale. Est-ce ainsi que procède le Reichstag de Berlin? C’est peut-être la première fois qu’on a vu discuter une loi militaire en mettant au second plan les considérations militaires. Cette armée dont elle peut avoir besoin avant trois mois, la république la refait et la défait comme un enfant ses bataillons de soldats de plomb.

Les Français croient-ils par hasard que, si le prince de Bismarck avait la chance de posséder le service de cinq ans, il s’en laisserait priver pour le plaisir de molester son vieil antagoniste Windthorst ou de faire porter le mousquet aux séminaristes? La nouvelle loi, qui semble imaginée pour débiliter l’armée et décapiter intellectuellement la nation, cette loi, aussi funeste aux intérêts militaires qu’aux intérêts civils, est pour l’état moral de la France un indice alarmant. On a dit que les individus étaient seuls