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exclue de la paix ; il ne se consolait pas d’avoir écouté les conseillers qui lui avaient prêché l’abstention et de s’être exposé aux ressentimens de l’Angleterre. Le moment psychologique était arrivé : le ministre saisit l’occasion au vol pour ébranler les derniers scrupules de son maître et faire triompher l’intervention. Le roi prit une résolution héroïque : il écrivit une lettre instante à l’empereur Alexandre et donna l’ordre à son envoyé de déclarer officiellement au comte de Nesselrode que, si la Russie rejetait les préliminaires de la paix formulés par l’Autriche, il se verrait dans la douloureuse obligation de quitter Pétersbourg.

Toutes les chances d’un retour de fortune, même lointain, avaient disparu pour la Russie. Ses armées avaient, il est vrai, remporté d’éclatans succès en Asie; elles s’étaient emparées de Kars, mais elles avaient échoué à Silistria, perdu les batailles de l’Aima, d’Inkermann, de la Tchernaïa; Sébastopol n’était plus qu’un débris fumant, Bomarsund était tombé, Sveaborg détruit, et les alliés, par l’occupation de Pérékop, allaient être maîtres de la Crimée. La paix s’imposait à la sagesse du gouvernement, malgré l’exaltation du sentiment national et des passions religieuses. Les patriotes rappelaient avec orgueil les souvenirs de 1813 et l’incendie de Moscou, mais les temps et les conditions de la lutte n’étaient plus les mêmes.

Le roi Frédéric-Guillaume était nerveux et agité ; ses regards étaient anxieusement tournés vers Pétersbourg. La crainte d’avoir irrité son neveu et l’idée d’être exposé au rappel de son ambassadeur le troublaient profondément. Sa joie ne fut que plus vive lorsque, le 15 Janvier, il apprit que le chancelier avait informé l’envoyé d’Autriche que la Russie acceptait sans réserves les conditions de la paix, et que ses menaces de rompre les relations diplomatiques n’avaient provoqué aucune colère.

Contre son attente, sa dépêche avait fait merveille. Si elle n’était pas la cause de la paix, elle en était du moins le prétexte. La menace du roi de passer dans le camp ennemi était arrivée à point nommé pour vaincre les dernières hésitations et colorer la capitulation. C’est chez l’impératrice, disait-on, que cette suprême détermination avait été prise, après de vifs débats avec le grand-duc Constantin, le partisan de la guerre à outrance dans les conseils de la couronne. Déjà le grand-duc s’était opposé à l’envoi des contre-propositions qu’en tacticien habile le comte de Nesselrode aurait voulu opposer aux demandes des alliés. Il avait invoqué, pour motiver sa résistance, l’honneur du drapeau, qui, cependant, par l’héroïque défense de Sébastopol et par la prise de Kars, était hors de toute atteinte. Le drapeau ne saurait être en cause lorsque, trahies par la fortune, les armées ont vaillamment combattu, «Il ne suffit