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prédictions de M. de Bismarck lors du procès d’Arnim. Ce procès, qui s’en souvient? Jamais la brutale franchise du chancelier ne s’était si crûment donné cours. M. de Bismarck n’avait pas craint de prévenir les Français que le meilleur gouvernement pour les intérêts allemands, c’était la république. Il ne leur avait pas caché qu’il comptait sur elle pour isoler la France au dehors et la débiliter au dedans. Les Français étaient avertis. Il dépendait d’eux de faire mentir les prophéties de l’oracle de Varzin. Les républicains n’avaient guère pour cela qu’à suivre les traditions de M. Thiers. Leur premier souci devait être de rassurer les intérêts conservateurs au dedans, aussi bien qu’au dehors. Pour ne pas remplir les espérances mises sur elle par M. de Bismarck, il fallait que la république montrât à l’Europe une France unie, économe, inspirant confiance à l’étranger comme à ses enfans. Est-ce là le programme qu’ont adopté les républicains au pouvoir? Cette seule question semble une ironie.

Voilà une dizaine d’années que la république travaille à une tout autre besogne, comme si elle avait pris à tâche d’offrir à l’Europe une France désunie, appauvrie, déconsidérée. Le pays ne lui paraissant pas assez divisé par la politique, elle s’est précipitée dans les querelles religieuses, et elle s’obstine à n’en point sortir. Elle a fait de l’école un engin de guerre, et comme si la foi en Dieu affaiblissait les peuples, elle cherche hypocritement à déchristianiser les masses. Au point de vue matériel, le parti dominant n’a guère été plus sage. Comme si la France était trop riche, ou comme si elle n’avait pas à songer aux éventualités de l’avenir, la république a éclipsé toutes les monarchies par l’énormité et l’imprévoyance de ses dépenses. Nous ne parlons pas ici de la politique coloniale. Les hommes qui croient le rôle de la France à jamais fini peuvent seuls s’étonner que ses regards osent encore s’étendre au-delà des mers. Ce qu’il est difficile de ne pas remarquer, c’est le décousu de la plupart de ses entreprises coloniales, l’insuffisance des moyens, l’incohérence des procédés, le vague des solutions. On retrouve là le manque de direction et d’esprit de suite qui caractérise toute la politique française.

Quoi qu’il en soit, si l’Europe ne doit pas lui cacher le globe, la France ne saurait se désintéresser de l’Europe. Elle a des voisins qui la condamnent à un perpétuel qui-vive. Elle a beau souhaiter la paix, il est naturel qu’elle se réserve de mettre à profit les crises qui peuvent se produire, les alliances qui peuvent s’offrir, les condits que l’avenir ne saurait manquer de provoquer. Mais comment s’y prépare-t-elle? A-t-elle seulement une politique? Peut-elle même en avoir une ?