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de sa réussite. De plus, les places vacantes se succédaient et augmentaient ainsi les chances de M. de Brosses ; le président Hénault, Moncrit, Alary, Mairan, meurent coup sur coup. — Cependant, à chaque vacance, un adversaire surgit au président ; parfois on ne sait vraiment d’où, sans titres, sans renommée, sans notoriété même. C’est M. de Roquelaure, c’est le prince de Beauveau, l’abbé Arnaud, Gaillard ; et tous, sans effort apparent, sans parti qui les soutienne avec ardeur, tous l’emportent sur De Brosses ! Ses amis sont déconcertés ; lui-même, profondément découragé, renonce à toute candidature. — Il n’eut pas de son vivant l’explication complète de ce mystère, car il ne s’éclaircit tout à fait que lorsque la génération suivante eut recueilli et publié la correspondance générale de Voltaire. On vit alors à nu les ressorts de l’intrigue, et vraiment ils sont à faire pitié !

À la première nouvelle de la candidature de M. de Brosses pour remplacer Hénault, Voltaire, qui est trop éloigné pour agir directement par les salons dans ce milieu de Paris où l’intrigue académique va se mouvoir. Voltaire, qui n’a pas de rancune, commence d’écrire à d’Alembert et le fanatise littéralement contre le président : « On dit que le président de Brosses se présente. Je sais qu’outre les Fétiches et les Terres australes, il a fait un livre sur les langues, dans lequel ce qu’il a pillé est assez bon, et ce qui est de lui est détestable… Il a eu un procédé bien vilain avec moi, et j’ai encore la lettre dans laquelle il m’écrit à mots couverts que, si je le poursuis, il pourra me dénoncer comme auteur d’ouvrages suspects que je n’ai certainement pas faits. » — C’étaient d’infâmes calomnies ; mais D’Alembert prend feu, sans discuter, sans examiner, comme tout homme de parti sur le seul mot de son chef. Il entre tout de suite en campagne, et rend compte à Voltaire de tout ce qu’il fait. Il lui annonce que De Brosses possède beaucoup d’amis dans l’Académie, mais que l’on parviendra bien à les détacher ; et les voici tous deux à l’œuvre. — Voltaire écrit à ceux que D’Alembert ne visite pas, et toutes ses lettres ne sont, quand il parle du président, qu’un tissu de calomnies ou d’injures. Il l’appelle fétiche, fripon de président, petit persécuteur, nasillonneur, etc. — Avec une persévérance incroyable, il lui suscite des rivaux pour l’Académie ; il va jusqu’à inventer la candidature de ce Morin, si maltraité dans les Mémoires de Beaumarchais. À court d’hommes, il songe à Delille, dont la jeunesse ne permet pas encore la nomination : « Si vous ne le prenez pas, écrit-il, ne pourriez-vous pas avoir quelque espèce de grand seigneur ? » Il s’agit, en effet, non-seulement d’écarter De Brosses, mais, comme dit Voltaire lui-même, « de le dégoûter pour toujours ! » Si l’on s’avise de résister, comme fit le