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années de là, il allait assister à la plus triomphale apothéose qu’un homme eût encore reçue de son vivant ; qu’on juge de quelle blessure il dut se sentir déchiré quand il vit sa gloire ainsi méconnue et sa majesté à ce point méprisée ! — Sur le coup, vite et habilement il courba le front : il se tut et n’essaya pas de continuer une lutte dans laquelle il avait irrémédiablement le dessous. Exclusivement occupé en apparence de mille autres objets, il demeura sept ans sans échanger une ligne avec le président ; mais sa haine contre lui ne restait pas inactive, et il lui portait dans l’ombre des coups meurtriers, dont les terribles effets ne devaient pas tarder à se faire sentir. — Pour De Brosses, il avait réduit son adversaire au silence et il semblait qu’il tînt la victoire : il pouvait en jouir, car elle était le prix d’une lutte loyale pour une cause absolument juste. Mais nous sommes en droit de nous demander si ce n’est pas là une victoire à la Pyrrhus, et s’il n’eût pas mieux valu pour le président ne pas la remporter. Certes, il avait raison sur le fond des choses, et la meilleure preuve en est que, en fin de compte. Voltaire paya les moules de bois, dont le prix fut donné aux pauvres par le président. Cependant, nous pouvons nous demander si De Brosses n’usa pas de trop de rigueur en cette affaire. Voltaire était vieux, souffrant, tracassé de mille soucis : n’eût-il pas dû lui passer cette fantaisie de vouloir se faire donner ce bois de moule, quelque singulière qu’elle fût, et ne pas le presser avec tant de raison, c’est vrai, mais avec tant de sévérité, pour un si mince objet ? Plus on entre dans la connaissance du président, plus croît l’admiration pour l’élévation vraiment noble de son cœur et la distinction de son esprit, et plus on éprouve de pénible étonnement à le voir se donner tant de soucis pour une si mince querelle. — Aussi est-ce avec une véritable satisfaction que l’on trouve, dans la bouche même du président, l’explication de sa conduite. Telle qu’elle fut, il était enclin à la tenir ; il avait raison, il pouvait ne pas céder ; mais les motifs qu’il en donne, dans une lettre à M. de Fargès, du 10 novembre 1761, c’est-à-dire au fort de la querelle, nous font connaître le secret de son opiniâtreté. Il dit textuellement que Voltaire, — dans une lettre qui malheureusement s’est perdue, — lui a demandé ce malencontreux bois à genoux : « Je le lui donnais tout de suite, ajoute-t-il, sans Ximénès, qui de hasard se trouvait chez moi en ce moment. Il me dit : « Vous seriez bien fol de donner douze louis à ce drôle-là, qui a 100,000 livres de rentes, et qui, pour reconnaissance, dira tout haut que c’est que vous ne pouviez faire autrement. » Ximénès n’avait pas tort, aussi décida-t-il vite à la résistance le président, qui déjà s’y trouvait fortement porté par la vivacité de son caractère. — En effet : « Il était facilement ému