rang, homme du monde accompli, bien au-dessus des misères dont Voltaire le tracasse, magistrat d’une haute valeur, vénéré de sa compagnie et de tous ceux qui l’approchaient, le président, qui sent attachés sur lui les regards de tout ce que son siècle compte d’hommes distingués, n’abaissera pas le front devant le dieu, et tout à l’heure il lui parlera comme il convient.
L’éclat se fit pour peu de chose : quatorze moules de bois ! Voici comment. Lorsque Voltaire prit possession de Tourner, en 1758, il était convenu que la coupe du bois déjà abattu ne lui appartiendrait point, parce qu’elle était réservée pour un certain Charlot Baudy, auquel M. de Brosses l’avait précédemment vendue. Voltaire ne fit aucune difficulté de souscrire à cette condition formelle, et signa sans objection. Peu après, il eut besoin de bois pour son chauffage, et s’avisa d’en demander au président. Celui-ci, qui n’en avait plus, l’adressa naturellement à Charlot Baudy, acquéreur de ce qui était coupé à Tourney, et Charlot Baudy en livra quatorze moules à Voltaire. — Rien de plus simple, on le voit, et nul n’imaginerait qu’une situation aussi nette va se compliquer au point de fournir un drame à longues péripéties, dont le dénoûment, certes bien imprévu, sera l’échec du président à l’Académie française ! Il en fut ainsi pourtant, sans qu’il y eût rien dans toute l’aventure que le débat sur ces quatorze moules de bois.
Après qu’ils furent livrés, naturellement Voltaire les brûla. Il ne s’agissait donc plus que de les payer. C’est par là que nous entrons dans le vif de la querelle. — C’est toujours une ennuyeuse affaire que de payer son bois trop longtemps après qu’il vous a chauffé : le souvenir du bien-être qu’on lui a dû est effacé, et l’exigence soudaine du marchand apparaît comme une injustice. C’est ce qui arriva pour Voltaire. Charles Baudy attendit plus de deux ans avant de lui envoyer sa facture, et Voltaire alors eut l’incroyable faiblesse de prétendre qu’il ne lui devait rien. Devant cette situation inattendue, le pauvre Baudy se tourna du côté du président de Brosses, par l’entremise duquel la commande avait été faite. Et ce fut cette goutte d’eau qui fit déborder le vase. — Tout de suite, le président en écrit à Voltaire à la date de janvier 1760 : « … Baudy me porte en comptes et en paiement quatorze moules de bois vendus à M. de Voltaire, à trois patagons le moule ; et comme il pourrait paraître fort extraordinaire que je payasse le bois de la fourniture de votre maison, il ajoute pour explication qu’ayant été vous demander le paiement de sa livraison, vous l’aviez refusé, en affirmant que je vous avais fait don de ce bois… Je ne prends ceci que pour le discours d’un homme rustique, fait pour ignorer le langage du monde et les convenances, qui ne sait pas qu’on envoie bien à son ami et à son voisin un panier de pêches ou une