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« le vrai roi des gueux, » avec la mission d’améliorer le sort des ouvriers. C’est la politique qui a fait inscrire, au titre XIX du droit public prussien, le droit à l’assistance et le droit au travail comme corollaire. Mais les promoteurs des Gewerkvereine ne veulent pas de l’intervention de l’état, et revendiquent seulement une pleine liberté, tandis que les démocrates socialistes veulent partout remplacer la liberté par la contrainte, régler par l’état seul la production de la richesse et la répartition des produits. Communistes et collectivistes reprochent aux associations professionnelles libres leur impuissance pour améliorer le sort de l’ouvrier, parce qu’elles n’écartent pas la loi d’airain du salaire!

Ce qu’est cette loi d’airain, das eherne e Lohngesetz, le prophète du socialisme contemporain, Ferdinand Lassalle, l’a exprimé en termes qui ont entraîné les populations ouvrières dans le mouvement dont nous venons de retracer les phases. Sous l’effet de la loi d’airain et sous l’action de l’offre et de la demande, dans la société actuelle, suivant le grand agitateur, « le salaire moyen est réduit à ce qui est indispensable pour permettre à l’ouvrier de vivre et de se perpétuer. C’est le niveau vers lequel gravite, dans ses oscillations, le salaire effectif, sans qu’il puisse se maintenir longtemps ni au-dessus ni au-dessous. Il ne peut rester d’une manière durable au-dessus de ce niveau, car, par suite d’une plus grande aisance, le nombre des mariages et des naissances s’accroîtrait dans la classe ouvrière; ainsi le nombre de bras cherchant de l’emploi ne tarderait pas à augmenter, et, s’offrant à l’envi, la concurrence ramènerait le salaire au taux fatal. Il ne peut pas non plus tomber au-dessous de ce niveau, car la gêne et la famine amèneraient la mortalité, l’émigration, la diminution des mariages et des naissances et, par suite, une diminution du nombre des bras. L’offre de ceux-ci étant moindre, leur prix hausserait par la concurrence des maîtres se disputant les ouvriers, et le salaire se trouverait ainsi ramené au taux normal. Les périodes de prospérité et de crise, que traverse constamment l’industrie, produisent ces oscillations ; mais la « loi d’airain » ramène toujours la rétribution du travailleur au minimum de ce qui lui est indispensable pour subsister[1]. » Pour les socialistes allemands, la question de l’abolition du salaire s’est élevée à la hauteur d’un dogme. Tous v croient avec ferveur et attendent de sa réalisation la transformation de l’humanité. Douter de l’efficacité de cette formule équivaut à l’excommunication. Dans l’église dont les fidèles veulent le salut du prolétaire, il n’est pas

  1. Voir, dans la Revue du 15 décembre 1876, l’étude de M. de Laveleye sur le Socialisme contemporain en Allemagne.